Quelques mots avec… thérèse

Publié le 11 mai 2024 par Unis Son @unissonmag

Le vivre ensemble, Dragon Ball Z et l’avenir, à un peu plus d’un mois de sa date à la Maroquinerie, le 12 juin, j’ai eu la chance d’échanger avec Thérèse sur ces sujets. Le résultat est une longue et stimulante conversation maintenant dévoilée sur le blog.

L’ATTENTE, LES ORIGINES ET LA SUITE

Unis Son : L’Attente a beaucoup de sujets qui te sont très, très personnels et qui sont très forts aussi, comme la mort et la maladie. Comment te fait-il voir l’avenir et tes futurs projets ?

Thérèse : Les gens qui me connaissaient avant et qui suivent le projet ont pu potentiellement être surpris par la tournure de cet album. C’est marrant, parce que j’en ai discuté avec un média justement le week-end dernier. Elle m’a dit, « Thérèse, c’est drôle parce que j’ai l’impression que t’es un petit peu moins au front avec cet album, et en ce moment globalement dans la vie ». Peut-être que d’apparence, c’est le cas, mais en vrai, non. Je pense que j’ai simplement essayé d’aborder toutes les questions pour lesquelles je milite avec plus de douceur, je pense. Parce que la vie a fait que cette opération, cette confrontation à la mort, ça a mis en perspective beaucoup de choses aussi.

Je me suis rendu compte que déjà par rapport à moi-même, à ma santé mentale et physique, j’avais besoin de continuer à me battre et à espérer un monde que j’imagine meilleur. Après tout simplement, je prends en maturité, je pense. Je considère que mon militantisme, qui était un petit peu plus frontal, se situait quelque part dans une phase d’adolescence de mon émancipation, sur certains sujets. Aujourd’hui, me sentant un petit peu plus sage, j’aborde les choses différemment tout en gardant le même cap.

Je me suis rendu compte à quel point le militantisme un peu frontal et un peu agressif parfois nous faisait du mal à tous et à toutes sur les réseaux, et pouvait aussi notamment desservir des causes. Et je crois qu’on est en manque de voix qui rassemblent plutôt que des voix qui divisent.

Je sais que c’est les événements de la vie aussi qui font bouger des choses à l’intérieur de moi. Donc je laisse les choses arriver et je verrai bien. En tout cas, s’il y a une chose dont je suis plus sûre aujourd’hui, c’est de me faire plus confiance. Je me rends bien compte que les gens qui sont là, sont là pour de vrai. C’est quelque chose de précieux que j’ai pu construire sur des années.

Le pari que j’ai l’impression d’avoir plus ou moins réussi, c’est le fait que les gens soient autour du projet totalement en soutien par rapport à qui je suis. Qu’on peut voyager ensemble à droite, à gauche, dans le centre, faire des loopings. Et que les gens restent là, curieux, curieuses.

Je pense que quelle que soit la direction que pourra prendre le projet au niveau musical, je continuerai toujours à défendre le vivre ensemble. Je reste persuadée que c’est mon leitmotiv. C’est vraiment la création du lien et cette idée d’humanité, ce qui nous lie plutôt que ce qui nous sépare.

US : Comme beaucoup, je t’ai découverte avec le titre Chinoise ?, qui est un énorme banger, très frontal, antiraciste, et qui vraiment attrape les tripes. Est-ce que ça a été une décision difficile de ne pas le mettre sur l’album, ou est-ce que c’était complètement naturel ?

T : Je me suis posé la question. Je ne dirais pas que ça a été une question difficile, mais elle avait lieu d’être. En fait, elle ne figure pas sur l’album parce qu’il a un concept : celui du temps. Et je trouvais que Chinoise ? sortait un petit peu de ça. Musicalement aussi, je trouve que sur l’album, on a trouvé des sonorités qui sont nouvelles, qui sont plus proches de ce que je suis aujourd’hui. Chinoise ? c’était le deuxième morceau que j’ai sorti, du projet Thérèse. On n’était pas, en termes de texture, forcément raccords. Une chose est sûre, c’est que Chinoise ?, elle est là, elle existe, dans l’EP [Rêvalité, sorti en mars 2021] aussi, et je pense qu’elle me suivra toute ma vie.

D’ailleurs, c’est le seul disque, pour l’instant, qui existe en physique, donc les gens peuvent quand même se l’approprier, physiquement, l’avoir à la maison. Il existe dans la matière. Et je trouve que cette chanson, c’est mon histoire, mais c’est aussi l’histoire de plein de gens, et elle fait sa route. Elle s’est retrouvée dans Drag Race, saison 2, la tournée, parce que Kitty Space a performé dessus. Et j’aime bien cette idée aussi que ce morceau, il voyage comme ça.

Il prendra pas la route de l’album. En revanche, il sera toujours là, et je pense que pour les gens qui m’ont découverte à l’époque, je serai toujours associée à ce morceau d’une façon ou d’une autre. Finalement, elle fait pas partie de l’album, mais c’était impossible pour moi de pas la performer sur scène, parce qu’effectivement, ça fait vraiment partie de mon histoire, et notamment de mon histoire artistique.

ESPRIT SHŌNEN

US : Pour ton leitmotiv de vivre ensemble, c’est un titre extrêmement important aussi, un peu comme Toujours Trop, que j’ai tout de suite adoré, parce qu’il a cette force d’attaque similaire associé à la douceur de l’album. Il y a un autre titre d’ailleurs, qui m’a beaucoup parlé, et c’est Shonen. Parce quà la base, c’est vraiment une démographie – garçon adolescent – qui visée par ces histoires estampillées shōnen. Toi et moi, on n’appartient pas à cette démographie. Et pourtant, on y est vraiment attachées. Comment est-ce que ça t’inspire, l’esprit shōnen ? Comment tu te l’es approprié ?

T : Pour te dire la vérité, je pense que Dragon Ball Z, c’est le truc que j’ai le plus regardé de ma vie. Ça m’a toujours donné envie, cet esprit de camaraderie. Je pense que si on n’était pas visées, c’est à cause de la prépondérance du patriarcat au Japon. Il y avait des trucs pour les nanas, les shōjo, mais ça ne racontait pas du tout le même genre d’histoire. Quand j’étais petite, je jouais au foot, je me bagarrais… les shōjo ça m’intéressait pas, à part, Sailor Moon pour les costumes, j’ai toujours aimé ça. Mais je ne m’identifiais pas du tout aux autres shōjo, donc je n’en ai pas lu, je n’en ai pas regardé.

J’avais envie d’appartenir à cette espèce de bande de copains qui ont tous des formes différentes, des caractères super différents, des forces et des faiblesses différentes qui sont affichées dans les shōnen. Ce qui est cool, c’est qu’on voit très bien les défauts des gens, et pourtant, on s’en attendrit et on se rend compte à quel point les personnalités se complètent, qu’elles ont beau ne pas forcément être d’accord sur tout, elles se battent pour la même chose.

Je me suis vraiment resté sur les 90’s. J’ai pas encore réussi à trouver un truc aussi qui m’accrochait autant. Il y a aussi une forme de violence aussi dans DBZ qui pour moi est très cathartique. Le personnage de Végéta, il me fait mourir de rire. Parce que c’est un énorme rageux, qui, malgré tout, reconnaît la puissance de Goku et se range du… J’allais dire du bon côté de la force, j’aime pas parler comme ça, parce que c’est très manichéen.

Mais il se range du côté de ce qu’il pense être le mieux pour la communauté. Pas forcément le bien et le mal via un prisme personnel, mais vraiment via un prisme collectif, et je trouve que c’est intéressant. Je trouve qu’aujourd’hui, à travers les luttes intersectionnelles, il y a cet esprit-là qui s’en dégage. Il y a beaucoup de luttes intestines aussi, qui polluent un petit peu le message, malheureusement, mais dans le fond, on se bat pour quelque chose de commun.

Malgré nos différends, nos différences, on arrive à se dire « De toute façon, on est tous là. Maintenant, il faut vivre ensemble. » Comment on fait, en fait ? Tout en sachant que forcément, à un moment ou à un autre, un tel ou une telle sera frustrée ou moins à l’aise avec l’opinion collective… C’est pas grave, c’est l’histoire. Ça m’enchante pas mal, cette histoire de camaraderie.

En écoute : Shonen

Ça m’a toujours fait envie. Et aujourd’hui, je vis aussi ma musique comme ça. Je sais que le projet s’appelle Thérèse et que ça porte mon nom, mais on est en équipe, et à côté de ça, j’essaie de développer justement cette idée de team avec la Chrysalide, qui est en train de se former aussi. C’est pas qu’une question de communautarisme, c’est juste essayer de créer des pôles pour pouvoir défendre la même chose. Et voilà, c’est ça que ça m’inspire.

Je me rends compte que, même si j’étais attirée par ça toute jeune, la société a mis beaucoup de bâtons dans nos roues pour réussir à mettre ça en place. T’as l’impression que tu dois te battre avec toutes les autres personnes intersectionnelles parce que sinon, t’auras pas ta place à toi. Or, cette idée est fausse et longue à déconstruire.

LA CHRYSALIDE

US : Tu viens de mentioner la Chrysalide, est-ce que tu peux en parler un peu plus ?

T : Ouais, grave. La Chrysalide, c’est une sorte de nébuleuse ou de constellation avec des contours pas totalement définis et c’est ce qu’on trouve toutes super chouette dedans. C’est un regroupement d’artistes queers qui est partie de l’idée d’une artiste que j’aime beaucoup qui s’appelle Kely Boy. De par son statut de productrice, compositrice, accompagnante en live, elle a joué avec énormément de projets féminins ou queers et s’est rendue compte que chacun.e avait justement des forces et des qualités différentes.

Elle a tenté, de façon très organique à la base, de regrouper ces compétences-là, de faire des soirées, pour pouvoir donner de la place et de la visibilité à ces projets que l’industrie, pour le moment, a tendance à juste ne pas mettre en avant pour des raisons artistiques, parce qu’ils ne comprennent pas forcément. Pour des raisons politiques aussi, parce que souvent ce sont des projets qui dénoncent une certaine forme de système.

La première Chrysalide a eu lieu en juillet de l’année dernière et puis depuis il y a des soirées régulièrement qui mettent en avant plein d’artistes queers et puis nous on commence à s’organiser aussi un petit peu en souterrain pour s’entraider parce que ce monde est cher et parfois payer un ou une coach scénique, des stylistes, des graphistes, ça coûte cher. Du coup, au lieu de ça on se fait des échanges, on troque nos compétences et ça permet à chacun.e de s’y retrouver et de monter soit en compétences sur des choses définies, soit d’agrandir son public.

On essaie de croiser nos publics, il y a ma Maroquinerie qui arrive, c’est Kely Boy qui va faire ma première partie. Sur mon album il y a Cœur et Louisadonna, qui font partie de la team aussi, qui font des feats avec moi. L’idée c’est qu’une bande de copines se dise que finalement il y a de la place pour tout le monde sur le devant de la scène et qu’un podium, une couronne, ça se partage.

Ce que j’aime beaucoup dans la Chrysalide c’est le fait que ce soit pas quelque chose de fermé. C’est à dire qu’on n’a pas de charte assignée ou des obligations, chacun.e donne ce qu’il ou elle peut quand il peut et ça c’est cool parce que ça respecte justement nos individualités. On n’est pas un groupe homogène, on est plein d’artistes différentes avec des discours qui varient aussi, qui sont nuancés. Et c’est cool de pouvoir à la fois se sentir appartenir à un groupe mais en même temps se sentir libre de dire ce qu’on veut, quand on veut, où on veut, avec qui on veut, sans avoir peur de ne pas coller à une certaine ligne éditoriale ou je ne sais pas quoi. Ça me correspond en tant qu’artiste et être humain.

SA MAROQUINERIE, GRANDE FÊTE EN APPROCHE

US : Tu as mentionné la Maroquinerie, justement parlons-en. C‘est dans un petit peu plus d’un mois, le 12 juin. Pourquoi est-ce que c’est un lieu important pour toi ?

T : En fait c’est un endroit où j’ai vu énormément de concerts. Ça fait un peu plus de la moitié de ma vie que je suis parisienne et j’ai une histoire très très très d’étroite avec le 20ème arrondissement. Tout m’a ramené là dans ma vie que ce soit l’ancien job de mes parents, ma prépa, mes histoires amoureuses. Aujourd’hui je vis dans le 20ème, la Maroquinerie est vraiment pas loin. C’est vraiment une salle que j’ai énormément fréquentée et où j’ai eu des sensations incroyables. J’y ai même déjà joué deux fois, mais pas en headlineuse. La première fois au Zébrock, c’était le premier et un des seuls tremplins qui m’a accompagnée, puisque je suis évidemment trop vieille et trop crossover pour d’autres tremplins.

Ce lieu a une âme que je trouve incroyable. C’est un peu une fierté pour moi de me dire que je vais pouvoir jouer là-bas. Alors, évidemment, j’ai très peur parce que c’est un défi énorme. Je pense que les gens qui ne font pas partie de l’industrie ne se rendent pas compte de ce que ça représente en termes d’investissement. Les gros labels investissent sans problème dedans parce qu’ils ont des sous et qu’ils peuvent avoir potentiellement des subventions, des aides, etc. Moi, c’est pas mon cas. Je ne suis pas non plus spécialement soutenue par les gros médias qui pourraient m’aider à remplir la salle. Heureusement qu’Unis Son et plein d’autres médias qui sont de plus petite envergure sont là pour nous aider. Parce qu’en fait c’est un défi de ouf.

Aujourd’hui, jour et nuit, je me demande si les gens vont venir… Est-ce que les gens vont prendre leur place ? J’oeuvre beaucoup pour, mais j’ai pas la force de frappe d’autres médias ou d’autres artistes, et du coup je suis flippée. Mais je sais que ça va être un super moment parce qu’on prépare une belle fête. C’est une fête pour dire merci aux gens aussi de m’avoir soutenue toutes ces années, quasiment au quotidien. J’ai envie de leur offrir un spectacle à la hauteur de ce que je ressens quand ils m’apportent du soutien. On va préparer plein plein de choses, et on va faire en sorte que les gens viennent au max, et Inchallah on verra ! J’ai très hâte et je sais que ça va être le feu !

LE REPOS EN ATTENTE

US : Tu prépares donc activement la Maroquinerie, tu es aussi activiste, on le sent dans tes textes, tu es aussi conférencière, directrice artistique, tu as des projets musicaux et autres à droite à gauche Tu as du temps pour toi avec toutes ces casquettes ?

T : De plus en plus ! Je pense que l’opération m’a bien secouée et m’a fait me rendre compte à quel point il fallait que je préserve mon véhicule. Assez étrangement, je me rends compte que plus j’arrive à me reposer et plus j’arrive à faire de choses. Parce que je suis plus efficace aussi. C’est une répartition différente du temps. J’apprends aussi à déléguer, même si je ne peux pas encore déléguer à hauteur de ce que j’aimerais, à cause de problèmes de sous. Parce qu’à un moment donné quand tu délègues, il faut quand même payer les gens – surtout si tu veux un travail bien fait. Donc, je suis dans une phase un peu intermédiaire, où j’aurais besoin de plus d’aide, mais où j’y arrive pas encore totalement.

Il y a plusieurs apprentissages de vie que j’ai eu ces dernières années. La deuxième chose, c’est que j’ai vraiment compris que le mieux était l’ennemi du bien. À un moment donné il faut arrêter de se prendre la tête sur des détails. Souvent c’est la peur de finir. Je me soigne sur cette peur de finir, je me dis de toute façon, il faut y aller. Il y a l’idée aussi d’accepter tout simplement l’imperfection des choses, de se dire je préfère faire que pas faire.

Après je vais pas mentir je travaille quand même beaucoup. C’est quelque chose qui est lié à ma personnalité, j’ai besoin de faire beaucoup de choses. C’est vrai qu’avant, ça peut paraître fou, mais j’avais pas de week-end, et maintenant j’en ai et c’est vraiment essentiel. Je me rends compte que je crée mieux comme ça, que je réfléchis mieux tout simplement. Et que, si c’est pas fini ce soir, ce sera fini demain. Ou peut-être que ce sera jamais fini et que c’est pas grave.

SOUVENIRS

US : Un week-end très mérité. On arrive à la dernière question : quel est ton premier souvenir musical ?

T : Mes parents m’avaient offert un magnéto Fisher-Price quand j’étais petite. Il y avait un micro qui était collé avec un truc en tire-bouchon comme les vieux téléphones. Il était rouge le micro. Je me souviens, j’avais pas 5 ans encore, parce que j’étais dans la première maison dans laquelle j’habitais. Enfin, la deuxième techniquement, mais la première je m’en souviens pas, j’étais trop jeune. Je m’enregistrais parce qu’il y avait un recordeur et je m’enregistrais sur 1, 2, 3 nous irons au bois.

J’ai réenregistré plein, plein de fois la fin de la chanson. Parce que j’étais pas contente de comment je disais 10, 11, 12, elles seront toutes rouges. Je crois que c’est ça mon premier souvenir musical, de m’enregistrer sur cette espèce de truc radio-cassette avec un petit micro. Si c’est pas ça, c’est chanter dans la voiture avec mon père. Mon père est musicien amateur. Il faisait beaucoup de batterie sur le volant de la voiture quand on écoutait des chansons. Ça fait partie aussi des souvenirs de vacances et de trajets pour aller voir les cousins, mais je sais plus quel est l’ordre.

Un immense merci à Thérèse pour ce moment de partage et sa générosité. Un merci aussi à Enora qui a aidé à l’organisation. Retrouvez L’Attente sur toutes les plateformes de streaming, et bien sûr, en live à La Maroquinerie le 12 juin.


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