Nirvana

Bleach

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Sub Pop/Geffen
Sortie : Juin 1989

Sorti à la fin des années 80, l’album Bleach se situe à la croisée des deux genres en vogue à l’époque ; le métal suant et le punk révolté. En s’affranchissant du côté macho lourdingue du métal et du look sophistiqué du punk, pour ne garder que la brutalité de l’un et désenchantement de l’autre, Nirvana signe avec Bleach l’arrêt de mort des deux genres et pose la première pierre de l’édifice grunge. Tout le monde connaît la suite… mais connaissez-vous le début ?

On ne va pas vous retracer l’histoire du groupe de Kurt Cobain, Nirvana. D’une part, parce que vous la connaissez sans doute déjà, et d’autre part, parce que l’album Bleach est justement le début de l’histoire.
À l’origine, seulement 30.000 copies de Bleach furent écoulées (principalement aux USA), mais après l’énorme succès du deuxième album, Nevermind (en 1991), les fans ont (re)découvert tardivement ce premier opus de Nirvana, qui a depuis été certifié «disque de platine» par la Recording Industry Association of America, faisant de lui le premier des deux seuls albums du label indépendant Sub Pop à être certifié «platinum».
Pour comprendre et apprécier Bleach à sa juste valeur, il convient, en premier lieu, d’évoquer la mise en boîte (assez périlleuse) de l’album.
L’opus fut enregistré en février1989 aux Reciprocal Recording Studios de Seattle (Washington), sous l’égide du producteur «maison», Jack Endino. Trois morceaux de l’album (”Floyd the Barber”, “Paper Cuts” et “Downer”) furent enregistrés lors d’une précédente session (toujours aux Reciprocal Studios) en 1988, avec Dale Crover à la batterie, et bien que le groupe ait par la suite tenté de les réenregistrer avec le nouveau batteur, Chad Channing, le groupe décida finalement de remixer les versions enregistrées avec Crover pour la version définitive de l’album.
N’ayant pas les fonds nécessaires pour payer les frais de la location du studio, le groupe bâcle les sessions d’enregistrement en quelques semaines pour un montant total de 606$, qui furent payés par un certain, Jason Everman (un guitariste impressionné par la démo du groupe avec Dale Crover). Ce dernier ne reverra jamais la couleur de ses biftons, mais son bon geste lui vaudra tout de même l’honneur d’être crédité en tant que deuxième guitariste (bien qu’il n’ait en réalité pas joué une seule note sur l’album) et d’apparaître sur la photo de la pochette, prise par Tracy Marander, la copine de Kurt à l’époque (Everman est le chevelu frisé sur la droite de la jaquette). À ce propos, le bassiste Krist Novoselic, expliquera plus tard que «le groupe voulait simplement lui donner l’impression de se sentir comme chez lui au sein du groupe (”to feel at home in the band”)». Everman jouera tout de même temporairement avec le groupe pendant sa première tournée américaine pour la promotion de Bleach, mais quittera le groupe peu de temps après.
En ce qui concerne les textes de l’album, Cobain déclarera au magazine Spin en 1993 que «sur Bleach, j’en avais strictement rien à foutre de ce que les paroles voulaient dire», précisant que 80% des textes furent écrits le soir précédent l’enregistrement, sinon le jour même, sur le trajet en allant au studio… Sûrement que la route était truffée de nids de poules, ou que Kurt était mal assis ou qu’il était malade en voiture, car ses textes, sombres au possible, trahissent une mauvaise humeur évidente et une violence rarement égalée sur les prochaines galettes du groupe. Cobain expliquera d’ailleurs que «c’était comme si j’avais la haine… je ne sais même pas de quoi. J’avais juste envie d’hurler des paroles négatives, et du moment qu’elles n’étaient pas sexistes et trop embarrassantes, c’était okay. Aucun de ces textes me sont chers».
Le biographe de Nirvana, Michael Azerrad, notera cependant que bon nombre des chansons de l’album révélaient, de façon à peine camouflée, des aspects de la personnalité de Cobain ou des «incidents» de sa vie. Le titre “Mr. Moustache”, par exemple, fut inspiré par son mépris pour les comportements machistes, et le titre, “School”, était une critique de la scène musicale de Seattle, et plus particulièrement de Sub Pop.
Pour clore ce chapitre des présentations, il est important de préciser qu’en phase de préparation, l’album s’intitulait, Too Many Humans, puis fut rebaptisé Bleach par Kurt Cobain après que ce dernier ait vu une affiche de prévention contre le sida alors d’un trip à San Francisco. L’affiche conseillait aux consommateurs d’héroïne de nettoyer leurs seringues à l’eau de javel, en exhibant le slogan ; «Bleach Your Works».
À posteriori, donc, on comprend mieux en quoi le titre de l’album incarne à lui seul toute la noirceur et le nihilisme du mouvement grunge… enfin bref.
Vous entendrez (ou lirez) sûrement beaucoup de critiques – au sens littéral du terme – sur cet album, mais il serait mesquin de votre part d’en tenir compte avant que vous n’ayez vous-même fait «l’effort» (le terme paraît peu approprié) d’écouter cette pièce maîtresse du grunge avant de vous forger une opinion ; VOTRE opinion !
Des rythmiques lourdes et puissantes, des riffs agressifs et survoltés, des textes tranchants comme des lames de rasoir, une guitare apocalyptique, et surtout les vocaux incomparables, déchirés et déchirants, du jeune Kurt Cobain ; voilà les ingrédients de la «substantifique moelle» de Bleach.
À noter qu’au départ, la tracklist contenait 14 titres, mais elle fut finalement réduite à 13, le titre, “Big Long Now”, ayant été retiré de l’album parce que, aux dires d’Endino, Kurt Cobain trouvait qu’il y avait déjà assez de «slow heavy stuff» sur l’album, et qu’«il ne souhaitait tout simplement pas sortir cette chanson».
L’opus s’ouvre sur “Blew”, qui, comme son titre l’indique, nous souffle d’entrée en pleine face un vent fétide mais que l’on ne peut s’empêcher de renifler avec délectation… un peu comme quand on sent son propre pet ; ça pue, mais on aime bien.
Vient ensuite “Floyd The Barber”, un morceau lourd au demeurant et mélodique aux entournures, où s’égratigne la voix de Cobain rien que pour le fun de nous faire saigner les oreilles.
“About A Girl” prend la relève et se démarque du reste de l’album par sa douceur (le morceau sera d’ailleurs interprété lors du fameux Unplugged MTV enregistré à New York), offrant quelques notes de douceur dans un opus de brutes… un court répit partiellement prolongé sur le titre “Love Buzz”.
Puis le groupe accélère le travail de sape sur “Negative Creep”, “Mr Moustache”,”Swap Meet”, “Paper Cuts”, ou encore “Downer”, qui proposent un son heavy bien crade, lent et terriblement addictif.
Tout cela pour dire que Bleach est, et restera, à maints égards un album marquant, décisif et essentiel…
Kurt, plein d’artistes t’ont succédé, mais aucun ne t’a remplacé !

Ecoutez le titre “Blew” :

Ecoutez le titre “Negative Creep” :

Ecoutez le titre “About A Girl” :

Ecoutez le titre “Love Buzz” :