La Caresse Du Clown
Cristal Records/Harmonia Mundi
Sortie : Mars 2010
Une tragédie musicale majestueuse, comme on aimerait en trouver dans les rayons «théâtre contemporain» des librairies. Une histoire, un début, une fin, des protagonistes brillants et courageux, une voix à vous rendre fou et des musiciens impeccables. La Caresse Du Clown est un album puissant qui mérite toute notre attention et notre amour.
«Alors de la part des mots je vous souhaite à toutes et à tous le bonjour »… Là, les mots dansent, les mots percutent et claquent, on les assemble pour que se craquèle le sens, pour que d’autres choses s’entendent.
Des années de slam, je suppose, pour la voix qui nous ensorcelle et nous tient dans une frayeur fébrile, la voix de Marco Codjia, que le saxophone de Denis Guivarc’h soutient comme dans les épopées d’un Waits, Gainsbourg, ou, plus près peut-être, d’un Oxmo Puccino. Ce mélange de voix parlée et de scansion, de jazz, avec la puissance du cuivre et la frappe sèche d’une batterie (on abandonne définitivement les boîtes à rythmes, les samplers, les boucles et les synthétiseurs), ces chuchotements en contrepoint des morceaux qu’on croyait instrumental (”Starbuck”, qui ne peut manquer d’évoquer le second du Pequod, vaisseau croisant les eaux du monde à la recherche de Moby Dick) tissent bel et bien, à l’instar des parleurs suscités, un opéra surprenant, une suite d’épopées que traversent des personnages récurents: Victor Trompe La Mort, La bouchère, Laura.
Un “Entracte”, à la mi-temps de l’album, confirme, après les violons qui nous racontent l’histoire de “Laura” (laquelle, comme Fada, «n’aime pas les mystères, les mythes fondateurs puissants») que c’est bien une histoire qu’on nous raconte, l’histoire du cirque Darwin mené par un colonel fou, qu’on nous raconte avec des mots, des notes, des souffles, des colères ou des amours.
Un grand talent anime cet album, une réinvention de ce que peut être le texte et la narration.
Enfin, à nous, adultes mourant de ne plus être des enfants, La Caresse Du Clown nous rend ce bonheur des histoires pleines de bruits et de fureur, de vraies histoires, racontées par un fou majestueux, pour nous distraire et nous avertir.
Des histoires qui font mal et dont certains vers, comme ceux d’Hamlet ou de Phèdre, continueront longtemps d’allumer nos neurones fatigués. Un souffle majestueux que l’on n’a pas fini de faire tourner sur nos platines, qui, à coup sûr, auront bien du mal à avaler autre chose par la suite.