No Format!
Sortie : Mai 2011
Au Mali, la tradition interdit à ceux qui portent le nom royal de Keita de chanter ou de jouer d’un instrument. Heureusment, il y a des exceptions… Mamani Keita en est une qui, d’ancienne chanteuse d’un autre Keita (Salif) en rupture de caste, est en passe de devenir l’une des principales ambassadrices de la modernité musicale africaine.
Elevée par sa grand-mère à Bamako, Mamani Assitan Keita chantonnait déjà en allant chercher de l’eau au puits… “Celle-là, elle va faire sa vie dans l’aventure”, disait alors l’aïeule en parlant de la fillette ; une parole prohétique puisque, quelques années plus tard, Mamani deviendra lauréate du prix de la meilleure soliste de la commune de Bamako, puis sera engagée comme choriste au sein de la prestigieuse formation, Badema National (dans laquelle officie Kassémady Diabaté, l’une des voix les plus pures d’Afrique de l’Ouest), avant d’être finalement remarquée par Salif Keita, qui l’embarquera avec lui à Paris à la fin des années 80. Mamani a tout juste 17 ans, n’a jamais été à l’école, et ne parle pas un mot de français. Pendant 7 ans, la jeune femme vit sur la brèche, sans papiers. La naissance de sa fille, qu’elle élève seule, ajoute un impératif à la nécessité de s’en sortir. Elle multiplira les collaborations avec différents projets jusqu’à sa rencontre avec le musicien rock, Marc Minelli, qui lui fait alors franchir un cap décisif, se prétant sans réticence à l’habillage jazz ou napage électro de ses chansons qui conservent néanmoins toujours leur essence africaine.
Au fil des années et des expériences musicales, Mamani Keita a enrichi sa palette, affiné et affirmé son style.. jusqu’à aujourd’hui, où la chanteuse sort son troisième album, Gagner l’Argent Français, plus rock et électrique que ses précédentes moutures.
Finalisé en compagnie du guitariste, Djeli Moussa Kouyaté, les 10 titres de Gagner l’Argent Français ont ensuite fait l’objet d’un minutieux montage sonore où s’est exercée l’imagination poétique de Nicolas Perac.
Alors que certains morceaux reposent sur une assise rock tapissée de guitares et rythmique binaire (”Sinikan”, “Gagner L’argent Français”), d’autres morceaux nous entrainent dans un tourbillon hypnotique de dub (”Massigui”) ou d’afro beat (”Konia”).
Les instruments traditionnels mandingues (kora, ngoni, monocorde) mêlent leurs sons à ceux des samples, de la clarinette klezmer, du luth chinois et des cordes classiques, pour au final, peindre un paysage sonore varié et harmonieux.. où chaque chanson est comme un pont suspendu qui fait passer d’un monde à l’autre sans rupture. On se promène nonchalamment du désert à une brocante de sons, d’un chant tribal à une vieille rengaine des années 30. Mamani parle de sa vie, de ses échecs et ses victoires, dispense la sagesse de l’aïeule et la fraicheur naïve de la jeune fille allant chercher l’eau du puits. C’est dans cet environnement surprenant, audacieux, diffus mais cohérent, que Mamani Keita affirme et défend farouchement une indépendance qu’elle a chèrement acquise.
Dr Phil Sehr-Gut