Mama’s Mule

février 27, 2012

Du hip-hop réglé comme du papier à musique

mamas-2011.jpg

Nouveau chantre du rap-mélodique dans la lignée d’un Beat Assailant ou d’un Buck 65, le combo parigot, Mama’s Mule, s’est mis en quatre pour nous concocter Follow the Music ; une galette riche et consistante, raffinée, croustillante et bien balancée.

Fusion redoutable entre le hip-hop, le jazz et le pop-rock, le tout nappé d’un flow pépère, délivré en douceur et en anglais, le son de Mama’s Mule fait souffler un vent frais sur la scène rap hexagonale… enfin !
Rencontre avec le chanteur, Mamadou Gueye (aka Venon), et le compositeur, Léonard Mule, dans leur studio du 18ème.

Question : Votre bio explique que Venon et toi vous êtes rencontrés en 2008, mais elle ne dit pas dans quelles circonstances ?

Léonard : À la base, quand je suis arrivé à Paris, je bossais uniquement en tant qu’ingé son pour des groupes de rock-indé principalement, mais aussi pour des rappeurs, dont le collectif hip-hop/cultures urbaines, l’Artillerie Musicale, dont Venon faisait partie. J’avais déjà fait quelques enregistrements avec eux… mais je me souviens très bien de la première fois où Venon est venu enregistrer au studio. Il avait posé sur un morceau en français… (air dubitatif de Venon) Bref. Il est passé en cabine, on a enregistré le morceau et il a directement voulu écouter la prise. Je la trouvais déjà pas mal, mais il a voulu la refaire sur le champ. À la deuxième prise, il avait corrigé toutes les erreurs, mais il n’était toujours pas satisfait. Il a donc voulu la refaire une troisième fois, et ce fut la prise parfaite… Et là, je me suis dit ; c’est qui ce mec ? Surtout que j’avais capté qu’il était assez jeune, le minot ! (rires) T’avais quoi, 22, 23 ans ? C’était il y a 4 ou 5 ans… ?

Venon (air toujours aussi dubitatif) : Euh oui, je ne sais plus trop… Je suis pas très bon en maths, mais faut pas le dire ! (rires)

Léonard : Enfin bref. À la fin de la séance d’enregistrement, j’ai pris ma gratte et j’ai commencé à jouer un truc à la Red Hot Chili Peppers, et Venon et ses potes se sont mis à rapper dessus et à ce moment-là que j’ai encore plus apprécié le flow de Venon en particulier. Du coup, juste avant qu’il parte, je lui ai demandé si ça le brancherait que l’on se revoit pour essayer un ou deux trucs, alors qu’à cette époque je n’avais encore jamais pensé à faire ma propre zik.. Donc, c’est vraiment cette rencontre qui a tout déclanché… (sourire en coin) et c’est aussi ses lunettes ! (rires des deux)

Question : Puis vous avez recruté Sylvain (Moreau) à la basse et Jessy (Rakotomanga) à la batterie ?

Léonard : En fait, lorsqu’on s’est mis à faire du son ensemble, on a eu un gros coup d’inspiration. On a composé plusieurs titres assez rapidement et on était au taquet sur le projet. Du coup, on a fait appel à Sylvain et Jessy pour enregistrer une démo trois titres que l’on a sortie en 2009.

Venon : La première fois que l’on s’est retrouvé en studio, on a fait d’entrée le titre “Magic Bottle”. Léo a trouvé la compo et j’ai écrit des lyrics dans la foulée.. ça s’est passé de cette manière pour 90% des morceaux. Lorsque j’arrivais au studio, soit on continuait sur la même compo que la veille, soit on partait sur une nouvelle compo que Léo avait composée.

Léonard : Le plus souvent, on trouvait un thème, on posait direct les bases, on rentrait chez nous puis on rectifiait le tir le lendemain. Tout est allé très vite au début.

Question : Si tout est allé si vite, pourquoi avoir laissé passer trois ans entre la démo et l’album ?

Léonard : Parce qu’entre temps j’ai dû bosser sur d’autres projets et Venon a trouvé un taff (alimentaire) assez prenant… et puis je suis aussi devenu papa… C’est un changement de vie radical ! Donc on n’avait plus tellement le temps ni l’énergie de s’enfermer des heures en studio… L’énergie et la motivation sont revenues plus tard.

Question : Venon, comment ça se passe au niveau de l’écriture des textes ? Est-ce que tu t’inspires des évènements de ta propre vie ?

Venon : Non, mes textes ne sont jamais très personnels… mais parfois je vais intégrer, sur deux ou trois mesures, quelques éléments de ma vie, ou quelque chose que j’ai vu ou entendu (comme des conseils de mon père).. mais la plupart du temps je mets une certaine distance entre ma vie et mes textes.

Léonard : C’est vrai que même ses textes les plus « ego trip » sont loin de ressembler aux « ego trip » de base que l’on entend chez les autres rappeurs. C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que j’aime bosser avec Venon ! Je travaille avec pas mal de rappeurs en studio, et lui il sort vraiment du lot au niveau de l’écriture. Il donne toujours une autre dimension aux textes.. il écrit davantage avec l’idée de mettre des miroirs en face des gens que dans l’esprit de dire ; regardez ma gueule… ça, c’est hyper agréable !

Venon : C’est vrai que je ne suis pas du tout branché « ego trip »… tout d’abord parce que ce n’est pas dans ma nature, et je pense aussi que ça vient de mes influences.. les groupes que j’écoute et les rappeurs que j’apprécie particulièrement ne sont pas dans ce délire.

mamas-2011-103.jpg

Question : Justement, tu écoutes quoi et quelles sont tes influences ?

Venon : J’écoute un peu de tout… On va dire que je suis assez éclectique dans le rap. Pour les non-initiés, il faut savoir qu’il y a plusieurs courants dans le rap, et je me retrouve à peu près dans tous ces courants.. mais mon influence majeure reste Jay-Z, que ce soit au niveau des textes que des instrus. Après, j’aime beaucoup Kanye West pour le côté créatif .. et récemment j’ai découvert d’autres artistes qui assurent vraiment. Je trouve qu’il y a un renouveau dans le rap-r’n’b. En ce moment j’écoute beaucoup The Weekend, et aussi Kendrick Lamar, qui est un rappeur californien (de Compton) et qui a un univers complètement barré… ça ne ressemble pas du tout à ce qui se fait dans le rap en ce moment. Et puis il y a aussi le rappeur d’Harlem, A$AP Rocky, qui est en train de décoller sérieusement. Ce qui est original avec lui, c’est qu’il a récupéré ce qui se faisait à Houston il y a trois ou quatre ans, et l’a remit à sa sauce.. il l’a recadré dans son univers. En fait, j’aime tous les artistes qui ont leur propre univers.. ceux dont tu peux reconnaître le son entre mille. C’est pour cela que j’aime bien Drake aussi, malgré le fait qu’il soit mainstream… Il a son producteur et il a son type de son bien à lui. Après en rap français, c’est un peu plus dur… (sourire)

Question : A propos de la scène française justement, on entend de plus en plus de groupes de rock français chanter en anglais, mais pratiquement aucun rappeur français, à part toi, donc, rapper en anglais.. Comment expliquez-vous cela ?

Léonard : Disons que le rap français est beaucoup plus une « famille » que le rock français, qui lui a tendance à s’éparpiller dans tous les sens et s’ouvrir vers l’extérieur. Le rap, lui, c’est une vraie famille, même s’ils se tirent tous dans les pattes, ils s’écoutent les uns les autres.. du coup, ils s’intéressent vraiment au rap français et il y a une culture anglo-saxonne beaucoup moins importante que dans le rock… Et puis, j’ai aussi remarqué qu’il y avait un petit rejet de la langue anglaise.. (rires)

Venon : C’est vrai.. mais je pense que c’est aussi une question identitaire… ils ont voulu se créer leur style, mais en fait, c’est un peu schizophrénique comme truc, parce qu’ils aiment le rap américain, ils en copient les codes, les instrus, les attitudes, etc.. mais ensuite ils vont dire que c’est du rap français parce que c’est rappé en français. L’accent est donc particulièrement mis sur les textes, et beaucoup moins sur les instrus… parce qu’il faut reconnaître qu’au niveau des instrus, il y a peu de rappeurs français qui font des vraies propositions et apportent de trucs nouveaux… Donc au niveau des textes, c’est très riche, mais pour ce qui est de l’aspect musical, c’est la misère. En fait j’ai l’impression que les rappeurs français ne voient pas ça comme de la musique. Ils vont passer un max de temps à bosser leurs textes, puis ils vont aller en studio, enregistrer du son, et après ils vont laisser l’ingé son se démerder .. ils ne vont pas se casser la tête à trouver des arrangements.. tout le contraire de ce qu’il se passe aux Etats-Unis.

Question : Et ce n’est pas votre cas non plus ! Vous avez mis un point d’honneur à utiliser aucun sample sur l’album, et vous mettez particulièrement l’accent sur les instrus, vous…

Léonard : Oui, mais ça n’avait rien « d’engagé » comme démarche.. c’est juste que l’on avait envie de faire notre propre son, et pas un «copié/remâché/collé». De toute façon, en tant que musicien/arrangeur, je ne concevais pas une minute ne pas tout composer de A à Z. Donc les seuls samples qu’on a utilisés, ce sont des samples de notre propre son. J’aime poser 5 ou 6 notes, travailler des motifs.. travailler les rythmes, les développer.. les retravailler… En fait, je pense que c’est une habitude qui me vient du rock. Je travaille un motif que je développe ensuite en suivant la structure couplet-pont-refrain.. au départ, je ne cherche pas plus loin que ça… L’« affinage » et les prises de têtes se font plus tard. (rires)

(Photos : Jessy Rakotomanga)