novembre 10, 2012
Le Bob Cabrel hexagonal…
Francis Cabrel présente un projet qui lui tenait à coeur depuis longtemps ; rendre hommage à Bob Dylan… un projet jusque-là seulement esquissé dans ses précédents disques, sur lesquels figuraient déjà plusieurs reprises. Les chemins du song-writer américain et du frenchie convergent aujourd’hui en bonne et dûe forme avec un album entièrement consacré aux chansons de Dylan, retraduites et mises à la sauce du chanteur/compositeur d’Astaffort.
Lorsqu’en 1967 Francis Cabrel, alors âgé d’à peine 15 ans, entend pour la première fois “Like A Rolling Stone” de Bob Dylan, c’est le choc, et le déclic ! Depuis l’ombre de l’euvre de l’artiste américain n’a cessé de planer au-dessus de la sienne. Quatre ans après la sortie de Des Roses et Des Orties (2008), Francis Cabrel revient avec l’”album-concept”, Vise Le Ciel, entièrement consacré aux pépites (traduites par ses soins), connues et moins connues, de Dylan.
Question : L’idée d’un album hommage à Dylan te suit depuis une quinzaine d’années, mais il a été sans cesse repoussé. Pour quelles raisons ?
Francis Cabrel : Je t’avoue que j’ai toujours reculé ce prjet devant l’énormité de la tâche. Petit à petit, avec mes adaptations de Jackson Browne, de Willie Nelson et d’une dizaine d’auteurs américains, il me semblait temps de me lancer enfin dans ce projet que je remettais toujours à plus tard.
Question : Tu racontes que lorsque tu as entendu pour la première fois “Like A Rolling Stone” de Bob Dylan, ce fut une révélation, un coup de tonnerre. Pour toi il n’y avait donc rien avant Dylan ?
Francis Cabrel : Avant j’étais musicien dans des petits groupes. On jouait des chansons des Stones, des Beattles, de Simon et Garfunkel… Quand j’ai entendu “Like A Rolling Stone”, ça a été un grand choc. C’était les gens de 20 ans qui disaient à ceux de 40 : “maintenant, il nous faut de la place, on arrive !”
Question : Cela a remis en question la manière dont vous imaginiez la musique ?
Francis Cabrel : J’étais encore trop jeune pour me dire que j’allais faire des chansons comme lui, que je voulais aller exactement dans cette direction, mais je savais que j’allais l’écouter nuit et jour. Ce jour-là, j’ai trouvé mon idole. Aujourd’hui, quand un nouveau Dylan sort, j’ai toujours le même frisson.
Question : Outre sa musique et ses textes, est-ce l’aspect littéraire et son non-respect des codes que tu apprécies particulièrement ?
Francis Cabrel : L’aspect littéraire, je l’ai découverts bien après, parce qu’au début mon anglais était très scolaire. Pour que je comprenne les finesses de son écriture, il a fallu que je m’aguerisse à cette langue. Musicalement, ça me plaisait beaucoup. C’est rock, c’est folk… Il y a une espèce de morgue, en un sens c’est aussi agressif.
Question : Dylan n’attaquent pas les sujets frontalement, c’est suggéré par petite touches…
Francis Cabrel : C’est presque sans queue ni tête même ! Si on écoute par exemple “I want you” (”Je te veux” dans le disque), on ne peut pas dire qu’il y ait du sens. Il y a un fossoyeur, des cloches et mille autres images que je n’ai pas eu la place de mettre, des objets fêlés…. Tout ça, c’est dire qu’il désire quelqu’un. Il choisit non pas de décrire le sentiments amoureux, mais de décrire tout ce que cela provoque comme état et comme tremblement de terre autour de lui.
Question : En quoi compares-tu ton oeuvre, ta façon d’écrire à la sienne ?
Francis Cabrel : Bon, il faut être honnête : comme je l’ai beaucoup écouté, il m’a beaucoup influencé. Quand Dylan ou moi faisons du rock, c’est plutôt doux, assez “moelleux”. Sinon, sur le plan littéraire, je suis plutôt inspiré par des choses que je lis en français, Georges Brassens, La Fontaine, Balzac… J’ai une culture française type.
Question : Adapter en français les textes de Dylan sans perdre l’esprit de textes réputés intraduisibles paraît être un exercice fort périlleux et pas gagné d’avance …
Francis Cabrel : Fatalement, oui. Il y a des bouquins qui donnent la traduction littérale de 300, 400 textes de chansons. Quand on lit ça, on se rend compte du foisonnement intellectuel du bonhomme. Il a une imagination sans limites. Moi, j’ai choisi celles qui me paraissaient les moins compliquées. Il y en a qui sont complètement étanches, qui sont sublimes, mais c’est de la poésie de très très haute volée.
Question : La leçon que donne Dylan dans so écriture est celle de la fluidité et de la rime intelligente et toujours rebondissante. As-tu privilégié cette fluidité à la traduction “ultra-précise” ?
Francis Cabrel : J’ai toujours tenté de respecter l’idée de base. Mais parfois il faut s’écarter du mot à mot parce qu’il y a des rimes incontournables. J’ai plongé dans mon stock d’imagination, d’images propres, c’est là justement que la part d’adaptation est sujette à caution, à débat. Tu donnes une chanson de Dylan à 40 personnes, ça fera 40 chansons différentes.
Question : En écoutant cet album, on se dit que toutes ces chansons ressembleraient presque à du “Cabrel pur jus” !-)
Francis Cabrel : Cela fait 35 ans que je fai de la musique, ça fait 35 ans que je l’écoute et fais des chansons dans la foulée… Quand je l’écoute, il y a un mot qui jaillit, et ça me donne une idée de chanson. Donc, finalement, nos univers se ressemblent beaucoup, parce que je m’en inspire.
Question : La sortie de ce disque est-elle comme les autres ?
Francis Cabrel : J’ai l’impression que ce n’est pas mon album. J’ai servi quelqu’un comme j’ai pu. C’est un disque hommage. Je ne compte pas top faire un ramdam avec ça. C’est pour dire aux gens qui m’aiment : “voilà d’où je viens, voilà qui j’ai écouté, voilà ce que j’ai fait avec les chansons que j’aime le plus de lui”. C’est Bob Dylan le héros, je ne suis que le serviteur.
Question : Est-ce que tu crains les critiques pour cet album ?
Francis Cabrel : Je crains toujours les critiques quand un de mes disques sort. Je suis dans le doute perpétuel. Pour celui-ci, encore plus ! Le sujet est sensible. Il ne faut pas toucher aux icônes, j’en ai pleine conscience. Mais je ne fais pas ce métier pour ne plaire qu’à moi… Il faut savoir prendre des risques et se remettre en question.