Appelez-les Jeffrey !
Forts d’un excellent premier album, Branded, couronné d’une tournée européenne qui leur a ouvert les portes du territoire Yankee, les hollandais de Dope D.O.D. passent aujourd’hui la deuxième couche avec un double-album dévastateur intitulé, Da Roach. Bienvenue dans leur univers rap-core post-apocalyptique, délicieusement glacial, scrupuleusement barré et joyeusement lugubre.
Passés maîtres dans l’art de pulvériser les tympans avec du gros son hip-hop-atomique à base de dubstep crasseux et de lyrics tranchants comme des lames de rasoir, les MCs hollandais, Dopey Rotten, Jay Reaper, Skit Vicious, et le préposé aux platines, Dr Diggle, refont surface avec un deuxième missile-skeud encore plus meurtrier que le premier.
Nous avons évidemment profité du passage à Paris du groupe (presque au complet… Skit Vicious étant resté à la maison) pour les mettre sur le grill et les cuisiner à la mode de chez nous.. héhé.
Question : Votre premier album, Branded, est sorti il y a tout juste deux ans, aujourd’hui vous sortez, Da Roach, qui est un album plutôt long (17 titres), et entre-temps vous êtes partis en tournée avec Korn et Limp Bizkit… Travaillez-vous particulièrement vite ou passez-vous simplement tout votre temps à bosser ?
Dopey Rotten : Oui, on travaille beaucoup ! (soufflant et confirmant de la tête) Sincèrement, on travaille vraiment beaucoup.
Jay Reaper : Etre un artiste est un job à temps complet, c’est du h24, 7 jours sur 7. Tu peux recevoir un coup de fil en plein milieu de la nuit d’un de tes potes surexcité au téléphone, “Yo, j’ai un couplet d’enfer ou un beat qui tue, ramène-toi TOUT DE SUITE !”. Donc tu dois être toujours op, parce que tu ne sais jamais quand tu vas travailler… Quand t’es artiste, tu n’as pas des heures de bureau fixes.
Question : Donc j’imagine que vous devez travailler lorsque vous êtes en tournée ?
D.R. : Oui, bien sûr. On bosse n’importe où, n’importe quand… On n’a pas vraiment le choix. On a tellement peu de temps “off” que l’on a rarement l’occasion de pouvoir nous poser et passer des semaines en studio… ça c’est un luxe ! Du coup, il faut saisir toutes les occasions.
Dr Diggles : Et on bosse aussi au rythme de notre inspiration… c’est surtout elle qui nous dicte nos horaires de taff.
J.R. : Souvent tu vas avoir des idées qui te viennent en pleine nuit, ou quand t’es sur la route.. faut les écrire et les tester sur le champs avant de les oublier.
Question : J’ai lu des interviews dans lesquelles vous racontiez que vos tournées en première partie de Korn et Limp Bizkit avaient été des expériences assez éprouvantes (avec un public pas conquis d’avance)…
D.R. : C’est vrai que ça n’a pas toujours été facile, mais c’était pas non plus l’enfer ! La plupart du temps, c’était même plutôt cool.
J.R. : En fait, c’était dur surtout au début, parce qu’on n’avait pas l’habitude de jouer en première partie de groupes rock/métal… Quand tu fais du rap et que tu ouvres pour un groupe de métal ou néo-métal méga populaire, il faut forcément t’attendre à avoir un public “difficile”, parce que tout le monde est venu pour écouter du rock et voir son groupe préféré. Donc il faut un certain temps d’adaptation avant de se faire accepter du public.. mais du coup, c’est encore plus jouissif quand tu reçois des tonnerres d’applaudissements à la fin du show et que des mecs qui n’écoutent que du rock te disent qu’ils ont kiffé à fond ta zik !
Question : Justement, vue le mélange d’influences de votre son “hip-hop-électro-dubstep-grim”, je me demandais à quoi ressemblait votre public ?
J.R. : Le fait que notre son pioche dans plusieurs genres fait justement que notre audience est assez large. Notre public rassemble aussi bien des amateurs de rock ou de métal que des fans de hip-hop ou de musique électronique. Donc il n’y a pas un “public lambda de Dope D.O.D“.
D.R. : C’est justement ce qu’il y a de cool… il y a de tout dans notre public ! Il y a tous les âges et tous les styles. Notre musique a ce genre de “mass appeal” ! (rire) D’ailleurs notre son reflète nos propres goûts musicaux qui sont eux-mêmes très variés. On n’écoute pas uniquement du hip-hop, du dub-step ou du grim. On aime tout ce qui est bon. Perso, j’écoute aussi bien du reggae que de la musique classique.
Dr. D. : Question hip-hop, on écoute principalement des groupes américains des années 90, l’âge d’or du hip-hop.. c’est d’ailleurs pourquoi on a invité des gars comme Onyx, Redman, Kool Keith ou Sean Price à poser sur l’album.. ce sont nos héros.
J.R. : Moi en ce moment j’écoute pas mal de trucs de John Lennon et du Plastic Ono Band… c’est vraiment hyper bon ! Ca parle d’amour, de la vie et d’autres trucs dans le genre… des trucs plus profonds que juste la thune et les “bitches”. C’est ce qu’on fait nous aussi ! Et je pense que c’est ce que notre public apprécie… Quand il écoute les paroles de nos chansons, il se rend compte qu’on n’est pas là juste pour jouer les durs et hurler dans le micro, mais qu’on a un message à faire passer, que nos textes ont une signification plus profonde.
Question : Du coup, comment décririez-vous votre musique ? Du dubstep-grim-rap ?
D.R. : Nous on fait de la musique… c’est pas notre job de la décrire. Je dirais que c’est juste de la bonne musique. (rire)
Dr. D. : Venir à un de nos concerts ou acheter notre album est la meilleure façon de décrire notre zik ! (rire)
J.R. : Le truc c’est qu’on ne peut pas coller une étiquette à notre son… ce serait le limiter de vouloir le faire rentrer dans une petite case. Il n’entre dans aucun genre bien précis, c’est la combinaison de plein de choses. Du coup, je le décrirais plutôt de façon imagée.. je dirais que c’est du “grindhouse”.. tu sais, comme les films.
Question : Non, c’est quoi ?
J.R. : C’est les films du genre thriller-épouvante, comme les films de Rob Zombie, ou Planète terreur (Planet Terror) et Boulevard de la mort (Death Proof) de Tarantino… Il y a de l’action, de l’amour, des meurtres, de la destruction, des personnages complètement psychos.. Notre son et nos shows sont un peu pareils, il y a tout cela ; de l’amour, de l’action, de la violence, de la folie… on y met tout ce qu’on est ! Donc je dirais qu’on fait de la musique “grindhouse”… du horror-rap ! (rire)
Question : Votre premier album était déjà bien dark et “in your face”, mais avec celui-là, vous montez encore d’un cran le niveau et développez une “esthétique de la violence” exacerbée ; êtes-vous si en colère que ça ou bien la violence est-elle votre fond de commerce ?
D.R. : Non, on est violents seulement dans notre musique, et on ne fait pas de la violence pour faire de la violence ! C’est juste que l’on aborde des sujets violents et qu’on met en scène des trips dark, donc forcément le résultat aura tendance à être “violent”.
Question : Vous semblez avoir été particulièrement inspirés par le chaos et la fin du monde.. (d’ailleurs cet album est intitulé Da Roach (le “cafard/blatte”), qui est l’un des seuls êtres vivants à pouvoir survivre à une catastrophe nucléaire). Est-ce du fait d’avoir composé cet album en 2012, l’année annoncée comme étant la fin du monde ?
J.R. : (rire) Oui et non. Disons qu’il y a un peu de ça.. mais c’est surtout une métaphore. Da Roachs, c’est nous en fait. On est comme des cafards terrés, qui sortent à la surface après la destruction de la planète. La planète, c’est la scène musicale qui a été complètement détruite par le bizness et l’appât du gain. Donc nous, on est les cafards qui ont survécu et sortent de leurs trous pour ramener “the real shit” à la surface ! Bam ! (rire)
Question : Il y a plusieurs featurings de super stars sur l’album (Redman, Kool Keith, Sean Price, Onyx, Da Goldminerz, Simon Ropless) ; comment les avez-vous “démarchés” et comment ça s’est passé pour enregistrer les morceaux avec eux ?
J.R. : Il y en a certains que l’on a rencontrés en tournée, comme Onyx que l’on a rencontrés à l’Urbano festival et au No Stress festival. On les a donc rencontrés deux fois avant de leur proposer de collaborer avec nous. On leur a envoyé une ébauche de chansons et des propositions de beats par mail qui leur ont plu. Ils ont enregistré leurs lyrics de leur côté une fois qu’ils sont rentrés de tournée.
D.R. : En ce qui concerne Sean Price, on avait déjà collaboré avec lui sur notre premier album, Branded. Quand on était à New York pour tourner le clip de “Psychosis” avec lui, on a profité de l’occasion pour lui proposer de poser sur le titre sur lequel on bossait à ce moment-là, “Ash n Dust”. On lui a fait écouter à peine 5 secondes des beats et il a été immédiatement partant. Il a écrit ses lyrics en une journée.
Question : Faisons un petit portrait chinois de l’album. Si cet album était une drogue, ce serait… ?
Dr D. : De la mescaline.
D.R. : De l’extasy.
J.R. : Un Jeffrey (rire)
Question : Un quoi ?
J.R. : Un Jeffrey. C’est un mélange de toutes les drogues roulées dans un joint.. comme dans le film, Get him too the greek (American Trip, titre français).. notre musique, c’est comme un Jeffrey, il y a de tout… ou alors, c’est la drogue “Soy Sauce” dans le film, John dies at the end (de Don Coscarelli). Dans le film, la “soy sauce” est une drogue noire qui vient d’une autre planète et qui te retourne le cerveau et te fait découvrir une réalité alternative peuplée de démons quand tu la prends. (rire)
Question : Si cet album était un film d’horreur ?
J.R. : “John dies at the end” !! (rire)
D.R. et Dr. D. : On est d’accord avec ça (rires)
Question : Si cet album était une arme ?
J.R. : Ce serait l’Excalibur.. d’ailleurs j’en parle sur le titre “Black Rain”.
D.R. : Pour moi ce serait une épée de samouraï..
Dr. D. : Ben moi, je penche plutôt pour une mitraillette.. ça fait beaucoup de bruit et de fumée (rire)
Question : Si cet album était une torture ?
D.R. : Ce serait le “ballon à eau”.. on te met un sac rempli d’eau sur la tête et tu meurs noyé.
J.R. : Pour moi, ce serait plutôt une “sweet torture”.. comme te faire baiser à mort ! (rire) Comme dans un des épisodes de Futurama, où les hommes sont condamnés à mourrir par “snoo snoo”.. ce qui consiste à se faire fucker à mort par des amazones géantes. (rire général)
Dr. D. : Si c’était une torture, pour moi ce serait de devoir écouter l’album sur de toutes petites enceintes pourries et qui grésillent.
Question : Si cet album était un tueur en série ?
J.R. : Ce serait définitivement Norman Bates.
Dr. D. : Ouais, ce serait un vrai psycho !
D.R. : Moi je dirais que ce serait Skit Vicious ! (rire général)
Question : Si cet album était un mot ?
J.R. : Grimy (sinistre/crasseux)
D.R. : Bloody (sanglant)
Dr. D. : Messy (désordonné)