Sanseverino

Le Petit Bal Perdu

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Columbia/Sony Music
Sortie : Septembre 2014

Sanseverino a toujours aimé partager au fil de ses chansons, son goût pour la guitare manouche et l’accordéon. Il est bien naturel qu’il s’offre aujourd’hui avec Le Petit Bal Perdu, une incursion dans les années 30 à 70 où il puise depuis longtemps son inspiration.

On se doutait bien que Sanseverino avait de la culture. Il sait bien sûr Charles Trenet, Édith Piaf et Boris Vian. Mais on ne doit pas s’étonner qu’il connaisse “Un dur, un vrai, un tatoué”, chanson de film délirante créée par Fernandel en 1938, ou “Il suffirait de presque rien”, superbe chanson de détresse amoureuse portée par Serge Reggiani. Et encore moins s’étonner qu’il les reprenne, avec une dizaine d’autres prodiges souriants (”Ce petit chemin” créé par Mireille et Jean Sablon en 1933) ou dramatiques (”Sombre dimanche” créé par Damia en 1936, avant que Billie Holiday n’en fasse son “Gloomy Sunday”).
Il est vrai que Sanseverino n’a jamais été très loin du passé. Dès son premier disque, on a bien remarqué que sa guitare aimait plus la pompe à la Django que la distorsion à la Satriani. Puis il a navigué avec un big band dans l’album Exactement, avec des malfrats à la Audiard dans Les Faux Talbins, avec l’Amérique mythologique dans Honk y Tonk
D’ailleurs, son nouvel album, Le Petit Bal Perdu, ne serait-il pas né du même genre d’envie ? Sanseverino avait exploré le vieux fond folk des États-Unis, avec ses histoires de barjots prophétiques, de vies perdues et de sacs jetés sur l’épaule. Le voici dans notre folk à nous – la musique des vrais gens, les récits qu’on garde en mémoire toute notre vie…
Oui, c’est un peu notre folk à nous, des histoires d’amour au soleil et des tragédies faubouriennes, des ailleurs rêvés et la grisaille d’ici, l’envie de partir et la glu sédentaire.
On va dire « ah oui, les années 30 ! » On ne contredira pas. Les années 30, en France, durent tant qu’il y a une robe à fleurs au refrain. Ce qui fait qu’elles commencent avec la TSF et s’arrêtent vers mai 68.
Dire « années 30 » chez nous, c’est comme dire folk aux États-Unis ou tango en Argentine ; c’est là qu’habitent nos chansons d’amour, de mouise, d’espoir, de bonheur et de déveine. Elles nous sont familières mais nous prennent souvent par surprise.
On ne sait plus leur âge, leur histoire, leur pedigree. On sait qu’elles nous bouleversent – le tragique brut des “Roses blanches” dont Berthe Sylva fit le premier grand succès de la TSF en 1926, les aventures surréalistes de “La Fille de Londres” écrites par Pierre Mac Orlan à la même époque mais chantées pour la première fois par Germaine Montero en 1952, les rêveries de cancre écrites par Jacques Prévert dans “En sortant de l’école” juste après la guerre, la virtuose et si simple “Supplique pour être enterré à la plage de Sète” que Georges Brassens a enregistrée en 1966… Sanseverino avait même oublié qu’il est né l’année où Juliette Gréco a enregistré “C’était bien (Le p’tit bal perdu)” quelques mois avant Bourvil.
Ces mélancolies, ces comédies, ces envols, Sanseverino les partage avec sa gourmandise souriante. Il chante les chansons qu’il a choisies, bien sûr, mais il signe aussi les arrangements. Un patrimoine qui ne demandait qu’à être revisité, bousculé et respecté tout à la fois.
Comme un éternel bouquet de roses blanches qui, à chaque génération, ferait toujours aussi généreusement pleurer.
Et sourire.