From Lulu, with love
En 2011, Lulu Gainsbourg (fils de Serge et de Bambou) avait tenté d’évacuer le poids de l’héritage avec son disque From Gainsbourg to Lulu. Il y reprenait 16 morceaux de son père. Aujourd’hui, à 29 ans, le musicien revient avec un disque raffiné, Lady Luck, dans lequel il chante en anglais.
L’ambiance y est belle, essentiellement sensible et atmosphérique. Le piano est omniprésent dans ses chansons, et elles sont toutes nées sur un Bernstein offert par son père.
Pour ce deuxième album, Lady Luck, le chanteur (exilé à l’étranger depuis 9 ans) a donné libre court à ses idées et à ses émotions.
Question : Te sens-tu attendu au tournant avec ce premier disque très personnel ?
Lulu Gainsbourg : Je ne m’en rends pas compte. Ce disque peut autant être ignoré qu’avoir un succès d’estime ou devenir mythique. Il n’y a pas de règle.
Q : Avec ces nouveaux titres, nous découvrons enfin l’étendue de TON talent.
L.G : Dans le premier album, je rendais hommage à mon père. Il n’y avait qu’une composition de moi. Là, effectivement, j’ai montré toutes les facettes de ce que je savais faire. Peut-être y en a-t-il trop ? Je ne sais pas. Vous en pensez quoi ?
Q : Je trouve que ce disque est varié, mais qu’il y a un fil conducteur.
L.G : Musicalement, c’est très éclectique. J’aime beaucoup de styles et, surtout, j’ai pas mal d’influences, ça se ressent forcément dans ma manière de composer. Quant aux textes, je les ai tous coécrit. Les chansons sont placées sur le disque dans l’ordre chronologique des évènements vécus que je raconte. Ce disque s’écoute comme un bouquin.
Q : Ce n’est cependant pas un album concept.
L.G : Non, parce que je ne parle pas tout le temps de la même personne.
Q : Tu as écrit ce disque à l’issue d’une douloureuse séparation sentimentale.
L.G : C’est réellement cette rupture difficile qui a tout déclenché. Mais aujourd’hui, ça va mieux. La jeune fille qui est en couverture du disque Lady Luck est ma nouvelle copine.
Q : Cela t’a-t-il aidé de ne pas être bien à ce moment-là pour écrire et composer ?
L.G : C’est un truc qui appartient à l’art. Je ne suis pas le premier et je ne serai pas le dernier à trouver l’inspiration dans les peines de cœur ou les soucis personnels. En ce qui me concerne, l’état mélancolique déclenche un univers différent en moi et me donne de l’inspiration pour composer. Cet album-là m’a occupé ses deux dernières années et au moment de la rupture, tout s’est mis en place rapidement.
Q : Si tes textes sont mélancoliques, les musiques, pour la plupart, ne le sont pas. Il y a des morceaux très pop et d’autres complètements funk.
L.G : Il y a des ballades, mais dans l’ensemble, j’ai souhaité avoir des musiques assez rythmés. J’ai fait en sorte que l’on ne s’endorme pas (rires). En fait le disque commence un peu sombrement, mais plus les morceaux défilent, plus la lumière apparaît. Ça finit même très positivement.
Q : Il y a quelques guests sur l’album. Par exemple Matthieu Chédid et son frère Joseph (connu également sous le nom de Selim) qui sont présent sur le single « Lady Luck ».
L.G : J’avais déjà une bonne base sur ce titre et Matthieu a rajouté sa petite touche qui se reconnait très bien. Matthieu est un ami de longue date. Je l’admire depuis toujours en tant qu’artiste et évidemment humainement. Ce qu’a fait Joseph aussi est formidable. J’adore son travail. Il sort bientôt un nouveau disque. C’est vraiment une famille formidable.
Q : Et que vient faire la fille de Philippe Stark, Ara, dans ce disque ?
Elle a toute sa légitimité. Elle est peintre, mais aussi chanteuse. Avec David Jarre, elle a monté le groupe The Two. Ara, elle est un peu comme ma grande sœur. Je la connais depuis que j’ai 7 ans, cela fait donc 22 ans que l’on se fréquente. D’ailleurs, quand je vivais à New York, on était tout le temps ensemble. Nous avons une très belle amitié.
Q : C’est donc symbolique de chanter avec elle ?
L.G : Oui. C’est exactement ça.
Q : Et la comédienne Anne Hathaway ?
L.G : Elle a aimé mon premier album et elle me l’a signifié. Elle a chanté dans beaucoup de films dont, en 2012, la nouvelle version des Misérables où elle était Fantine. Elle a une très belle voix et je suis très fier de notre duo.
Q : Ça rassure de chanter une chanson avec quelqu’un ?
L.G : Pas forcément. Les duos de ce disque ont un sens pour moi. Ils ne sont pas là par hasard. Tout l’album est basé sur des faits personnels La chanson que je chante avec Ara est une dispute entre un homme et une femme et celui avec Anne est une chanson qui donne l’espoir de retomber amoureux. C’est un peu ce que j’ai vécu.
Q : Il y a une chanson pour ta maman et une pour ton père.
L.G : J’ai écrit « Moushka » pour ma mère. C’est une chanson calme, voire assez sombre, à l’ambiance Pink Floyd. Je discute avec elle. Elle est devenue ma meilleure amie et c’est grâce à elle que je suis là où j’en suis aujourd’hui. Dans « Destiny », cette fois-ci, je discute avec mon père. C’est évidemment une discussion imaginaire.
Q : Parfois, discutes-tu avec lui réellement ?
L.G : Ça m’arrive. Je suis très rêveur, très dans un autre monde, souvent dans de hautes sphères… je communique donc avec lui très souvent. Et la communication se fait aussi à travers la musique.
Q : Penses-tu que lorsque tu composes, il est là et t’aide à trouver l’inspiration ?
L.G : J’en suis sûr. Pour « Destiny », je me suis carrément inspiré de lui. L’arrangement rappellera aux puristes de mon père la chanson « Marilou sous la neige »de l’album L’homme à tête de chou et un peu de « Ah ! Melody » de l’album Histoire de Melody Nelson. C’est une forme de nouvel hommage. J’ai fait du Lulu Gainsbourg arrangé à la Serge Gainsbourg.
Q : Je précise que l’album dans son ensemble ne ressemble pas du tout à ce que faisait ton père.
L.G : Je l’espère. Je suis dans la musique depuis que j’ai 4 ans. J’ai fait des études musicales assez poussées et j’ai passé notamment quatre ans dans la prestigieuse école de musique Berkeley School Of Music. J’espère avoir mon propre style et une originalité.
Q : Comment vis-tu la comparaison constante avec Serge Gainsbourg ?
L.G : C’est normal, il a marqué son époque. C’est mon père et il restera mon père. Il a beau être Serge Gainsbourg, l’artiste qui a amené quelque chose à la chanson, que cela va m’empêcher de m’épanouir dans ma passion. J’ai plein de choses à dire et j’en aurai encore d’autres dans le futur. La musique est ce que je sais faire de mieux aujourd’hui.
Q : Mais, pourquoi vous être présenté au public avec un premier album qui rendait hommage votre père ?
L.G : Là encore, c’est symbolique. C’était un cadeau pour mon père. Je n’ai pas eu la chance de pouvoir lui faire de cadeau en vrai puisqu’il est parti trop tôt.
Q : Ta maman, Bambou, suit-elle ce que tu fais ?
L.G : Elle est très présente et elle est fière de son petit gars. Avant de faire mon hommage à mon père, elle m’avait conseillé de prendre le temps de faire les choses. Quand elle a écouté, elle m’a avoué être épatée. Pour le deuxième album, elle était encore plus fière, parce que ce sont mes propres chansons. Ça me fait plaisir parce que si elle n’aime pas, elle n’aime pas. J’ai beau être son fils, elle ne m’épargne pas.
Q : Il y a deux instrumentaux dans ton disque.
L.G : « Noces funèbres » et « Lily Rose ». Ces deux instrumentaux, que l’on peut qualifier d’interlude, rappellent ma base de la musique. Je suis avant tout pianiste.
Q : Ne le prends pas mal parce qu’il n’y a aucune malice dans ma question, mais aimes-tu chanter ?
L.G : Je ne me vexe pas. C’est une bonne question. Honnêtement, dans le premier album, j’ai chanté, mais je me sentais plus « featuring » que chanteur. A la base, je suis musicien, pas chanteur. Pour ce nouvel album, j’ai découvert ce qu’était le fait de chanter. Je sais que j’ai énormément de progrès à faire, mais je pense que j’en ai déjà fait par rapport au premier. Vocalement, j’ai beaucoup travaillé. J’ai pris des cours pour savoir où me situer. Il y a quelques techniques à avoir car le chant n’est pas inné. Le plus important dans une chanson, c’est de savoir exprimer ce que tu veux dire et parvenir à donner le message que tu veux transmettre à l’auditeur. Pour se faire, je suis allé au maximum de mes limites. Je suis perfectionniste et l’idée de ne pas faire au mieux me rend malade. J’ai fait au mieux, mais j’essaierai de faire encore mieux pour le troisième album.