La Voix III, musique de stades

Publié le 13 mai 2015 par Feuavolonte @Feuavolonte

Artistes Variés

La Voix III

Productions J

L'album La Voix 3 m'a été envoyé en courrier postal la semaine dernière par Productions J. Les deux autocollants, indiquant " Sous embargo jusqu'au 12 mai " et " Toutes les chansons choisies par le public ", ont tout de suite révélé la piste d'écoute qu'il fallait prendre pour comprendre cette œuvre. Un disque construit par voie démocratique et placé sous embargo ne peut faire écho qu'à l'histoire de la révolution cubaine de 1959. D'ailleurs, comme il s'agit de la trame sonore d'un événement audiovisuel comportant de nombreux artistes collaborateurs, il est à se demander pourquoi l'album ne s'intitule pas, en hommage au rappeur Raekwon, Only Built 4 Cuban Linx...Part 3.

De la construction de l'album démontrant le système de démocratie directe à l'œuvre jusqu'aux textes de chansons, les références à Cuba sont flagrantes pour l'auditeur averti. Lorsque Kevin Bazinet chante que " ensemble, on pourrait s'en aller / [...] Quelque part à l'autre bout de la Terre " pour faire " fleurir à nouveau / Ce qu'il y a de plus beau ", il apparait évident qu'il personnifie Che Guevara, indiquant aux exilés cubains, qu'il a rencontrés au Guatemala en 1953, qu'ils doivent mettre à sac le régime de Fulgencio Batista. Même son de cloche chez Angelike Falbo dans Comme un appel qui fait l'éloge de sa vocation et où le chant est mis en parallèle avec l'action citoyenne; " Ça part d'une idée / Ça part d'un rêve / Ça part d'un désir ".

Les bonzes de Production J, cependant, ne sont pas sots. Ils savent qu'une telle pédagogie peut être rébarbative pour Monsieur et Madame Tout-le-monde. Inspirés des enseignements du linguiste Noam Chomsky, ils savent que le savoir politique peut être difficile à saisir et que la population peut aisément préférer vivre dans une société imaginaire où il peut être en contrôle de son environnement, comme dans un pool de hockey. Conséquemment, la meilleure manière qu'aient trouvée Productions J pour faire passer leur discours est sous l'apparat d'une compétition sportive.

L'objectif des participants de La Voix ayant contribué à l'élaboration de ce disque semble bien plus relever de la prouesse athlétique que de l'élan artistique. D'ailleurs, comme dans d'autres albums de cette maison de disques, l'humanité et l'émotivité semblent être mises de côté. Cette décision éditoriale est, cependant, très compréhensible : lorsque l'on est un athlète de compétition, il arrive bien souvent que le plaisir éprouvé lors de la pratique novice disparaisse et soit remplacé par une autre forme de récompense.

Tels des conquistadors, les chouchous du public s'amusent à dépasser les frontières établies par les canons du répertoire québécois et international. Lorsque David Fleury interprète sa version de Ton amour a changé ma vie des Classels, on ne peut qu'applaudir devant la prouesse : le chanteur rend reconnaissable le tube des années 60 tout en modifiant systématiquement chacune des notes de la mélodie originale. Bien plus que du chant, il s'agit de mathématiques; l'interprète a réussi à trouver le plus petit dénominateur commun entre son énergie et la structure originale de la pièce. Entre la fraction de mélodie semblable conservée pour donner un sens au discours à la fraction de seconde sauvée par le sprinteur olympique pour battre le record du monde au 100m, il n'y a qu'un pas.

Cette dimension athlétique est même embrassée par la production : on y présente des pièces en format " duel " où les interprètes (soit Karine Ste-Marie et Mathieu Holubowski ou Johanne Lefebvre et Sylvie Desgroseillers) doivent vaincre l'autre grâce à la qualité de leur performance pour séduire le public. Pour ajouter une pointe d'ironie, l'album est conclu par le fameux Blues du businessman, tiré de la comédie musicale Starmania, où les " coachs " ( Pierre Lapointe, Isabelle Boulay, Marc Dupré et Éric Lapointe) entonnent, sans broncher, qu'ils " [auraient] voulu être un artiste ".

En bons athlètes, les interprètes de l'album La Voix 3 misent sur la performance plutôt que sur l'émotivité. Lorsque le champion Kevin Bazinet s'égosille sur L'Amour existe encore, il ne présente pas au public une interprétation sentie, mais plutôt une tentative de battre le score de Céline Dion au jeu de celui ou celle qui mettra le plus d'ornements dans la chanson. La dernière à s'être risquée à ce genre de jeu, c'est Ginette Reno, et on voit où elle est maintenant : en train de chanter l'hymne national...aux matchs des Canadiens. Avec un peu de chance, l'un des participants de l'édition 2015 de La Voix chantera l'hymne national pour le retour des Expos. Après tout, le baseball est considéré comme le sport national à Cuba...