Présent sur la scène musicale indépendante locale depuis des lustres, le MC montréalais Jeune Chilly Chill roule sa bosse comme bon lui semble. S’intéressant au hip-hop depuis sa tendre enfance, il a aiguisé ses skills au sein de son groupe NSD, en tant que rappeur solo, mais aussi dans l’arène sanglante du battlerap francophone.
Photo : PunchLigue, Luxembourg
Vous l’avez peut-être déjà vu sur une scène aux Francofolies, dans l’arène des WordUp ou encore déambuler sur le Plateau. Cela dit, son style nonchalant et sa rousseur assumée ont récolté leur lot de détracteurs. Se décrivant comme un peu anarchiste dans l’âme, il s’est souvent vu du côté des opprimés. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, une chose ressort clairement de tout ce qu’il fait: son authenticité. Derrière ses grandes lunettes et son swag indéniable se trouve un gars qui a un grand respect pour la culture hip-hop et qui fait à sa tête. S’autoproclamant la crème du rap québécois, il sait sortir les armes lorsqu’il le faut tout en gardant toujours un sourire en coin.
C’est dans le château-fort de Luc Ferrandez que Jeune Chilly Chill m’a donné rendez-vous pour jaser de sa musique, de son parcours et de ses battles, dont le prochain aura lieu au WordUP Générations, l’opposant au rappeur Monk.E le 21 août prochain. Voici le portrait d’un tête à tête avec 130 livres de realness.
Comment t’es tu intéressé au hip-hop à la base?
Dès que j’ai eu l’âge de choisir la musique que j’écoutais, c’est la première chose qui m’a attiré. Dans ce temps-là, au début des années 1990, t’écoutais ce qui se rendait ici. Y avait MC Hammer, Vanilla Ice, Jazzy Jeff and the Fresh Prince, Run DMC. Ce sont les premiers que j’ai écouté. Après y a eu N.W.A, Ice T, 2Live Crew, Public Enemy. C’est ça qui m’a le plus frappé.
T’étais là au tout premier WordUp. Qu’est-ce qui t’a amené dans l’arène du battlerap?
FiligraNn avait lancé l’idée des WordUp en donnant les Grind Time en exemple. J’ai regardé et j’me suis dit que j’étais capable de faire ça. Donc, le WordUp c’était mon premier format de battle. Je n’avais jamais fait quelque chose du genre à ce moment-là.
Comment perçois-tu ton évolution dans le circuit battlerap francophone?
Je suis fier de mon parcours. Je suis passé d’un des moins respectés jusqu’à pratiquement un favori de la foule. J’aime le fait que je suis le seul avec Suspek-T de la première mouture WordUp qui est encore actif. J’suis aussi fier du fait que j’me suis pas planté très souvent. Il y a tout le temps un niveau de qualité que j’essaie d’amener.
Au début, pensais-tu vraiment que tu te lançais dans un long processus où tu allais gravir les échelons?
À mon premier battle, je me suis royalement planté. Mon orgueil personnel a pris un coup. Ce battle-là est sorti la même semaine où je me suis fait huer avant Oxmo Puccino au Métropolis dans le cadre des Francofolies. C’était vraiment une dure semaine pour moi. Y a une partie de moi qui était un peu «Fuck this shit», puis FiligraNn m’a fait confiance en m’offrant un autre battle contre un gars que je connaissais. Toute la haine que j’avais à ce moment-là je voulais la sortir contre lui et ce battle-là a mieux été pour moi. À partir de là, je n’ai jamais vraiment arrêté. À chaque fois que je fais un battle, je me dis que j’arrête, que c’est le dernier.
Sens-tu que le mouvement est en train de plafonner?
Si tu regardes en ce moment en France, ça roule plutôt bien. J’ai l’impression que le niveau chez les battlers en France est actuellement supérieur comparativement au Québec. En France aussi ils ont perdu beaucoup de leurs gars de la première heure. La grosse différence, c’est qu’ils ont eu une deuxième génération qui a renouvelé le shit et qui pousse encore plus loin l’affaire. Au Québec, j’ai l’impression que la relève n’est peut-être pas autant au niveau et une des raisons, d’après moi, c’est que dans la relève ici, y a beaucoup de monde qui ne sont pas des gens de hip hop à la base. C’est du monde qui ont écouté des battles et qui ont dit «c’est cool, moi aussi j’peux en faire». C’est des gens qui ont appris à battle en écoutant des battles, plutôt que des MCs qui ont grandi avec le hip-hop et toute sa culture.
Tu as fait des battles ici, en France, au Luxembourg, etc. Est-ce qu’il te reste des choses à accomplir?
Si j’avais la possibilité d’affronter quelqu’un qui a un statut de légende dans le hip hop, comme SP ou Dramatik, c’est sûr que je dirais oui. Ce serait une opportunité que je ne pourrais pas refuser.
Avec ton style et ta musique, certains auraient tendance à ne pas te prendre au sérieux. Sens-tu que tu es maintenant devenu un adversaire redoutable?
Je pense que j’ai atteint un certain niveau de respect. Je pense aussi que les gens savent que je suis capable de trouver des angles intéressants sur eux. J’imagine qu’il y a des gens qui le savent que je peux arriver avec ce genre de shit là.
Un battle de toi contre le Casse Croûte, est-ce qu’on va voir ça un jour ou le beef est pas mal mort?
En fait, quand je suis allé au Luxembourg, j’ai fait la paix avec Suspek-T. On a pris des photos et on a chillé ensemble. On a officiellement enterré la hache de guerre. Syme, ça fait plusieurs fois qu’on se croise dans la vie et qu’on se donne du love. On a aussi enterré nos vieilles affaires. J’ai fait la paix également avec Sadam Huss’. J’ai fait la paix avec pas mal tous les gens du Casse Croûte. Ce sont de vieilles histoires.
Comment perçois-tu ton prochain battle contre Monk.E?
C’est un peu la routine dans le sens que je suis rendu au point où, sans arrogance, je n’ai plus grand-chose à prouver en battlerap. Monk.E c’est une autre occasion de faire ce que j’ai à faire. Par contre, ce que j’aime beaucoup de l’affronter c’est qu’il a un personnage tellement bien défini et tellement original qu’au niveau de l’inspiration, il y a vraiment plein d’angles potentiels. J’trouve ça le fun de pouvoir partir dans un million de directions.
Après le WordUp Générations, qu’est-ce qui va se passer avec JCC ? Penses-tu te retirer un jour?
Comme je disais plus tôt, après chaque battle je pense me retirer. Monk.E ça va être mon 12e battle en six ans. Je pensais lâcher après Lamanif. Je ne sais pas trop. J’ai actuellement un autre battle sur la glace qui me tenterait peut-être. Ça se peut aussi que j’prenne ma retraite. On verra rendu là.
Quelle place accordes-tu à ta musique à travers tous les battles que tu fais ?
En fait, ça fait un bout que je travaille sur un même projet avec mon groupe NSD. NSD c’est toujours vivant, c’est juste que c’est un processus archi-lent parce qu’on est dix dans le band. Il y a eu plein de changements de personnel dans les dernières années. Ça fait deux ans qu’on travaille là-dessus. Ça, c’est le projet principal. J’ai aussi une mixtape qui est sur la glace depuis super longtemps qui n’est pas encore tout à fait terminé.
Est-ce que ça te gosse en tant qu’artiste que tes battles fassent plus jaser que ta musique?
Non, ça ne me dérange pas. En vieillissant, j’essaie d’être très réaliste par rapport à ma carrière artistique, si tu veux. Je sais qu’avec le type de musique que je fais, à l’endroit et dans le temps où je suis, je ne vais jamais vendre des milliers d’albums. Je ne vais jamais remplir le Centre Bell. Je ne vais jamais avoir des millions de views sur YouTube, etc. Plus jeune, je pensais que c’était peut-être possible. Aujourd’hui, j’y crois beaucoup moins. Donc, si avec un de mes battles je suis capable d’aller chercher en haut de 100 000 views sur YouTube, j’suis heureux de ça. Mon battle contre Lamanif, ça fait un an qu’il est sorti et il est actuellement au-dessus de 700 000 views. Je peux espérer ça nulle part ailleurs. Il va peut-être taper le million un jour. Presque tous les jours je me fais reconnaitre dans la rue. En quelque part ça me fait un petit velours, y a du monde qui aime ce que je fais. Ça vaut la peine.
Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais laisser derrière toi en tant qu’artiste?
Je sais pas. Des fois il y a des gens de mon entourage, des amis, qui me sortent une line que j’ai rappée dans une toune il y a cinq ans. À chaque fois, ça me fait rire. Si jamais la même chose arrive dans 20 ou 25 ans, ça va me faire rire en esti. Je vais me dire que ça aura valu la peine. Au-delà de ça, je ne m’attends pas à grand-chose.
En terminant, je te laisse la chance de faire un props + un shotfired
Mon props… c’est à tous les pionniers, à ma famille de NSD et à tous ceux qui gardent le mouvement battlerap francophone vivant.
Mon shotfired… c’est à Monk.E. Là il s’est calmé un peu, mais il joue au battlerapper depuis que notre battle est annoncé. Il sort un vidéo promo, il joue la game, il dit qu’il est meilleur, etc. J’ai pas de problème avec ça, tu peux me diss autant que tu veux, c’est juste que lui, il est en mode acting. Moi, en tant que quelqu’un qui a la culture du battlerap a cœur, voir quelqu’un jouer au battlerapper, je le prends personnel. Pour quelqu’un qui est tant pour la gratitude, de venir insulter ma culture comme il est en train de le faire, c’est outrageux. Il n’aurait pas dû faire ça.
Vous pourrez voir Jeune Chilly Chill affronter Monk.E dans l’arène des WordUp le 21 aout aux Katacombes.
L’album de son groupe NSD devrait finalement paraitre en 2016, inch allah!