[ITW] Patrick Rognant, la voix des raves

Publié le 02 décembre 2015 par Betcmusic @betcmusic

Le mercredi 02 décembre 2015 dans Interview, Music

Avec Christophe Caurret, nous avons rencontré Patrick Rognant, voix mythique des 90’s à qui l’on doit entre mille autres choses les émissions « Rave Up » sur Radio FG bien avant que celle-ci ne servent de la soupe EDM. Annonciateur de rave-party via les infolines, programmateur talentueux aux mixtapes légendaires, DJ de Trance et organisateurs de soirées, il nous a raconté quelques chapitres vécus de l’histoire de l’électro.

 

Après des années à te faire plutôt discret, tu as récemment décidé de reprendre la parole

Oui, et pas que sur la techno. Ca m’a permis au passage de rappeler que j’avais fait plein de choses avant FG, dans les années 80 : toute la New Wave, les Jeunes Gens Modernes dont je faisais partie, avec tous ces garçons qui sont morts, Daniel Darc, Claude Arthaud, c’était mes copains. C’est grâce à la New Wave que j’ai repéré que la techno serait le prochain gros truc. Dans les années 80 j’ai beaucoup fait la promotion de la musique synthétique en disant que de toutes façons, c’était le futur. Et évidemment j’étais pris pour un fou, à l’époque les gens écoutaient du rock, de la salsa, du zouk tout ce que tu veux. Il n’y a que Depeche Mode qui ait réussit à démocratiser le synthé, ils touchaient les banlieues, les masses, ils ont fait des millions de ventes.

C’est quoi ton premier contact avec la musique électronique ?

1972. J’avais 14 ou 15 ans et j’étais très grand (en taille !) donc j’avais réussi à m’incruster pour voir Kraftwerk en concert. Mais à l’époque, ils avaient encore les cheveux longs, ils étaient assis comme des sadus indiens sur des petits coussins avec les instruments au sol, rien à voir avec l’esthétique pour laquelle on les connaît. Puis après ça j’ai vu Tangerine Dream, Brian Eno, Popol Vuh, tous ces gens. Avant les années 80 j’étais déjà dans la musique synthétique planante et « expérimentale ».

Et comment t’es-tu retrouvé dans l’aventure Radio FG ?

Vers 79 ils ont commencé à faire une radio pirate, qui a existé pendant 2 ans dans l’appartement de Delphine Seyrig Place des Vosges. Et puis en 1981, à la libération des ondes, on a commencé Fréquence Gaie, qui est devenu Future Generation en 1987. J’avais une émission qui s’appelait « Vaudou », et mon technicien était Philippe Vandel. D’ailleurs j’ai une anecdote : Jack Lang voulait qu’on cesse les anglicismes à l’antenne. Et Philippe Vandel a eu la très mauvaise idée de traduire « skinhead » par « tête-de-nœud » ce qui fait qu’on a reçu des menaces de mort pendant 1 an !

Et quel était ton rôle au sein de Radio FG ? Tu avais juste une émission particulière ?

J’étais le responsable de la musique, surtout rock . J’étais le directeur de la programmation, tout dépendait de moi : j’allais chercher tous les disques, j’essayais de trouver les interviews, j’étais le contact des maisons de disque…

Et comment tu as réussi à les emmener vers les musiques électroniques ?

Ca s’est fait assez naturellement. Déjà à l’époque, Radio FG avait flashé sur Human League, « Don’t You Want Me », qui est devenu son hymne. Les Gays ont été les premiers à accrocher à la musique électronique grâce à une personne : Gorgio Moroder, via sa collaboration avec Donna Summer. Walter Carlos aussi, qui a fait la musique d’Orange Mécanique, et a profité de l’argent gagné pour se transformer en femme, maintenant c’est Wendy Carlos !

Dans les 90’s, vous aviez ce système d’annonce de soirées, sur toutes les raves parties, avec des points de rendez-vous, des infolines, dont tu étais la voix.

Tout ça c’était pour avoir un temps d’avance par rapport à la cellule anti-rave, pour qu’ils ne localisent pas la fête avant qu’il y ait au moins 500 ou 1000 personnes qui soient sur place, si on avait eu des portables on y aurait été scotchés. On a réussi cet exploit sans portable… Bon, pas mal de gens se perdaient hein, si tu loupais le moindre virage c’était foutu ! Aujourd’hui, il y a une demande du public de retour aux raves parce qu’on est retombés dans le même piège qu’à l’époque, il n’y a plus que des boîtes un peu tristes et les gens aspirent à autre chose.

Patrick en 1994 à 4:17

Quel regard tu portes sur cette nouvelle génération d’organisateurs ?

Pour eux ça va être un challenge, il va falloir qu’ils changent de vision. On ne peut pas proposer de soirées aussi chères pour proposer aux gens des choses qu’ils peuvent avoir pour beaucoup moins cher. Je pense qu’ils vont être obligés de changer de direction, maintenant qu’ils ont fait la conquête d’un public, s’ils veulent le garder il faut le bichonner. Concrete ça peut aller encore, hormis qu’on ne peut pas s’asseoir du tout, ce qui est un cauchemard pour quelqu’un de mon âge !

On t’as beaucoup moins vu et entendu pendant toutes les années 2000, tu as choisi de t’effacer un peu ?

A partir de 1994, j’ai commencé à bien développer ma casquette d’organisateur, puis en 96 je me suis concentré sur mon activité de DJ de Psytrance avec Athis et on a commencé à beaucoup tourner à l’étranger ce qui fait que j’ai arrêté de bosser chez FG en 2001 qui devenait un truc super commercial diffusé dans les G20, on avait plus rien à faire là. Après ça, j’aurais aimé être moins discret mais ce milieu aime les nouvelles têtes, et les nouvelles têtes malléables, pas les passionarias du mouvement comme moi ! Et puis vers 2006, la trance et la techno arrivaient à bout de souffle. Il y a un regain maintenant, mais à l’époque c’était la fin.

On a surtout l’impression qu’entre 2006 et maintenant, la scène trance a continué à se développer mais à l’international.

Ah oui c’est clair, le Boom Festival tous les 2 ans c’est 50 000 personnes, Ozora 40 000, Sonica en Italie, l’Allemagne fait des teufs à 20-30 000 personnes, il y en a plein. La scène s’est implantée partout, particulièrement au Brésil et au Mexique où il y a maintenant parmi les plus grandes teufs du monde, même pas quantifiables. Et la Russie ! Chaque fête à Moscou, tous les week-ends, c’est 5 000 personnes. Tout ce qui touche au chamanisme est très fort au Brésil et en Russie, parce que c’est leur histoire, pas la nôtre. Les Russes partent dans la Toundra le week-end, il y a des champignons redoutables là bas, pas si loin de St-Pétersbourg ! La trance a beaucoup pioché dans le folklore yiddish ukrainien, donc ça parle à tous les gens des régions slaves.

Et l’Inde ?

Tous les musiciens de musique synthétiques des années 80 ont décidé d’aller visiter les lieux où sont passés les hippies, je ne sais pas pourquoi, ils allaient tous à Ibiza et Goa et c’est ce qui a provoqué la naissance de la Trance. Raja Ram, DragonFly, le premier label de trance à Londres et finalement les gens du gothique, Olli Wisdom du groupe Specimen, icône du Batcave à Londres qui est devenu Space Tribe… En 88 – 89 je hantais Londres, Ibiza et Goa pour voir ce qui s’y passait.

Et depuis tu y es retourné ?

Non ça ne présente plus d’intérêt, il y a beaucoup de monde que ça soit à Ibiza ou Goa, mais les grands artistes n’y viennent presque pas, c’est devenu du tourisme de boîte de nuit et j’ai passé l’âge de faire ça !

Qu’est-ce qui a fait que tu as eu envie de reprendre la parole maintenant ?

En fait ils sont venus me chercher, et à sérieusement me harceler. Donc à la 7e équipe qui voulait faire un documentaire je me suis dit « Bon, allez, faut reprendre du service ! » J’étais déjà en train de reprendre du service à vrai dire, parce que beaucoup de groupes de New Wave se sont reformés… Mais je ne pensais pas revenir vers la techno, c’est vraiment eux qui sont revenus vers moi. Je voyais aussi une opportunité, celle des 25 ans de la Techno en France. C’est en 1991 qu’elle a explosé ici.

Qu’as-tu pensé du film Eden, dont l’intrigue commence à cette époque là ?

Le film est correctement fait, mais il ne correspond pas à grand chose. La réalisatrice n’a pas connu cette époque, et ses protagonistes ne ressemble pas aux types de personnes qu’on rencontrait dans la techno, mais plus aux toxicomanes désespérés des années 80. Les années techno c’était pas du tout ça, c’était des gens festifs, heureux, toxicomanes peut être mais pour le plaisir, avec aucun produits trop dangereux.

Si quelqu’un arrivait dans un fête dans l’état des acteurs du films, tout le monde lui disait « Oulah t’as pas l’air bien, avale ça ! »

Le film est bien mais pas représentatif du moment techno, et on y utilise ma voix un peu comme si j’étais l’hôtesse de l’air de tout ça, je me suis donc dit qu’il fallait que je remettre mon grain de sel dans tout ça !

Là j’ai tourné dans un documentaire sur l’époque Pat Cash qui s’appelle Ex-TAZ  et ça a donné l’idée à plein de gens de faire plein de documentaires, et moi je fais le mien avec un autre copain. Ça aurait été impossible de mettre tous les regards dans un même docu, entre la house, le hardcore, les Spiral Tribes… Et pourtant c’était souvent les mêmes gens qu’on retrouvait !

Ex-TAZ Citizen Ca$h (1987-1994) from Ex-TAZ Citizen Ca$h (1987-1994) on Vimeo.

Pour les gens nés dans les années 90 c’est quelque chose d’assez compliqué à imaginer, aujourd’hui les gens qui écoutent de la House et ceux qui écoutent du Hardcore ne se fréquentent pas vraiment.

Et pourtant à l’époque, les bourgeois, les fashionistas, tous les gens des beaux quartiers se sont retrouvés avec les punks et les rappers pour aller faire la fête. Tous les milieux sociaux étaient là ! Les gens venaient entre autre pour le plaisir de se retrouver dans un événement où on retrouvait des mélanges inédits.

Christophe: Aujourd’hui il y a tout un dress-code, même pour aller à la Concrete les gens vont avoir un style alors qu’à cette époque là les gens venaient presque déguisés, les fringues étaient adaptées à la nature de l’événement mais les gens venaient tels qu’ils étaient.

Des événements comme la Péripate, tout ce qu’a fait le collectif Pipi-Caca où on a pu justement retrouver ce côté « venez comme vous êtes », ont d’une certaine manière recréé ça, et notre génération (20-30 ans) ne l’avait jamais vraiment vécu. Et pourtant les autorités leurs mettent des bâtons dans les roues. Vers quoi doit-on tendre d’après toi?

Il faut toujours se réinventer ! Il y a plein de gens qui sont prêts à recréer ce qui a été fait. Il faut aller de l’avant. Les soirées gays continuent de se réinventer, la musique électronique est née dans ces soirées et continue d’y vivre, c’est dans des endroits comme au Paradise Garage à New York qu’on a commencé à mettre des travestis sur des podiums. Les premières soirées au Rex Club étaient faites par des anglais, avec des ecstas géants en polystyrène…

Christophe: Moi à l’époque je me disais que le truc d’avenir c’était le mélange de disciplines culturelles. La musique électronique a été le point d’entrée des nouvelles technologies, qui ce sont ensuite développées dans le gaming, le cinéma, tout ça. Mais les technologies employées à l’époque étaient révolutionnaires pour nous, t’en prenais plein la vue en terme d’effets visuels. Aujourd’hui ça nous paraît quasi normal d’avoir de la vidéo, des lights de malade, ça n’était pas du tout le cas à la base.

Ce qui restera le plus fort en dehors de la musique pour représenter cette époque, c’est le multimédia, qui n’existait strictement pas.

Patrick : Il y avait eu dans les années 80 quelques préfigurations de tout ça, avec les soirées du magazine Actuel de Jean-François Bizot au Rex Club qui mélangeait tous les genres dans des soirées qui duraient plusieurs jours, où toutes les tribus de Paris étaient là. Il voulait créer une sono mondiale.

Une nuit au Paradise Garage de New York

Si on considère que la techno a 25 ans, c’est quand même un cycle musical hyper long, vers quoi va-t-on aller maintenant ?

C’est Jeff Mills qui a le mieux répondu à la question. A son avis, le dancefloor ne représente aujourd’hui plus que 20% de la techno. Va se développer de la musique électronique à écouter, pas seulement à danser. C’est par la danse que la techno est arrivée, mais ça ne va pas continuer. Richie Hawtin a un peu cette vision.
Plus8 et Underground Resistance sont d’ailleurs nés au même moment en incarnant ce même son techno, il y avait juste les blancs des beaux quartiers d’un côté et les blacks un peu plus gangstas de l’autre, sauf Jeff Mills d’ailleurs qui avait fait des études. Richie Hawtin et Jeff Mills sont des penseurs de la techno, là où les autres l’utilisaient pour faire danser, ou pour faire passer un message. Ils sont allés beaucoup plus loin, cherchant toujours plus de cross-overs. C’est dans ces ponts entre les disciplines que la techno évolue, par exemple il y a de plus en plus de DJs qui se mettent à la musique de films.

Merci d’avoir répondu à nos questions, quand on parle de musiques électroniques on a tendance à se focaliser sur les artistes en laissant de côté les hommes de l’ombre et c’est génial d’avoir le témoignage de quelqu’un qui a participé à ces transformations musicales !

Je me suis vraiment battu pour ces musiques électroniques, auprès de gens qui étaient prêts à m’assommer, comme Iggy Pop ou les Cramps, qui ne voulaient même plus que je les touche parce que je m’occupais de techno, leur ennemi absolu, ce qui va détruire le rock’n’roll. Pour eux la musique était forcément directe, sur scène, animale, sans possibilité de différé.

par Larry Caurret et Joz2p