[ITW] Saul Williams, l’homme aux multiples talents

Le mardi 23 février 2016 dans Interview, Music

Entre la sortie de son nouvel album « MartyrLoserKing », une bande dessinée et un film en préparation, on peut dire que 2016 sera une année riche en projets pour Saul Williams.

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Bonjour Saul, comment as-tu commencé à écrire de la poésie?

Quand j’avais 8 ans, j’ai découvert Shakespeare. C’était aussi l’année du premier disque du label Def Jam. Lorsque j’ai entendu le premier disque de Hip Hop avec un breakbeat et un drum fort, j’ai adoré l’ idée. C’était déjà une nouvelle génération de rappeurs. Aujourd’hui, on en est peut-être à la cinquième génération de rappeurs et ça c’était la deuxième. Quand j’ai entendu ça,  je me suis dit que je voulais rapper comme eux. J’ai donc  commencé à écrire mais, comme je l’ai dit, c’est la même année que j’ai découvert Shakespeare. Au bout de quelques mois, j’ai essayé d’écrire des rimes en anglais ancien. J’essayais de faire un mélange entre les choses que j’avais découvert comme Shakespeare grâce à qui j’avais compris qu’il y avait beaucoup de possibilités puisqu’il y avait de nombreuses couches d’interprétations. J’adorais le fait que tu puisses dire une chose qui ait plusieurs sens selon la personne qui le dit ou l’interprète. C’était la même chose avec le Hip Hop. Par la suite, j’ai commencé à penser le Hip Hop comme de la poésie. Je suis devenu tellement à fond dans le rap que je faisais des Battles à l’ école. Mon rap n’était pas sur les questions de vote, mais plutôt sur ma super voiture. Bien sûr, ce n’était que des mensonges car je n’avais rien. Je ne voulais pas faire de beat, car il y avait toujours quelqu’un pour faire du beatboxing. Moi,  je voulais que les gens puissent écouter les mots que je prononçais. J’ai continué à rapper jusqu’à mes 17 ans puis j’ai arrêté et je suis allé à l’université et j’ai étudié la philosophie et le théâtre. J’ai donc toujours eu un rapport étroit avec la littérature, Shakespeare et les grand écrivains. Lorsque tu fais du théâtre, la première chose que tu fais c’est t’assoir à une table et analyser chaque partie d’un texte. C’est pourquoi mon rapport aux mots est devenu très intime. En tant qu’acteur il me fallait toujours connaître toutes les possibilités d’interprétation. Et cela se reflétait dans mon écriture. Ce n’est que lorsque je fus diplômé de l’université que j’ai commencé à écrire de la poésie.

Ce fut un long processus et lorsque je suis revenu de façon consciente à la poésie,  je ne voulais pas tenter de connecter cela à la musique, ça me donnait plus de plaisir. Mais je pensais à John Coltrane, à Charlie Parker,  je voulais faire un solo de Jimi Hendrix mais avec des mots. Comme les poèmes qui se trouvent dans le film « Slam » dans lequel je joue, je pense à un solo de Jimi Hendrix lorsque j’écris. Je sais qu’il n’y aura pas de musique donc j’essaie de couvrir les sons avec des idées. C’était alors le début du mouvement Slam à New York et en Amérique. Je ne pensais pas que cela deviendrait si gros, que des gens s’appelleraient même « slamers »  ici en France comme Abd al Malik et partout dans le monde entier. Avec ce film je suis allé dans plus de 20 pays. On me demandait d’aller dans les pays mais aussi les universités aux États-Unis pour faire une démonstration de ce nouveau type de poésie. Le plus drôle c’est que lorsque j’ai commencé à étudier la poésie je me suis rendu compte que tout cela n’était pas nouveau. Quand tu penses par exemple au poète Grec Homère, lorsqu’il était en vie 90 pourcent de la Grèce était illettrée. Ils ne lisaient pas Homère mais se rassemblaient autour de lui et l’écoutaient réciter de la poésie. Par exemple,  dans les premiers Jeux Olympiques, la poésie était un sport. Donc il n’y a vraiment rien de nouveau sur la poésie Slam.

Ce fut difficile pour toi de te considérer comme un poète?

Oui, totalement. Lorsque j’ai commencé à réciter des poèmes, les gens me disaient que j’étais très bon. Je me trouvais très honoré d’être appelé poète mais, en même temps je trouvais cela prétentieux de me nommer moi- même ainsi. A cette époque j’avais rencontré des gens incroyables qui avaient dédiés leur vie à la poésie et je savais que je n’avais pas fait cela. Je me demandais vraiment si je méritais ce titre. La réaction a été de lire énormément de poèsie. Cela a pris 10 pour que je puisse enfin accepter ce titre.

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Quel impact a eu ta carrière d’acteur sur ta musique ?

Pour moi c’est un tout. Dans mon premier film « Slam », j’ai écrit le script et avant cela dans toutes mes interprétations théâtrales, je récitais le travail d’autres. Même dans « Slam » lorsque je récitais mon propre travail il y avait un réalisateur. Donc peu importe que j’écrive quelque chose pour la scène ou pas il y avait toujours un réalisateur qui était là pour me dire comment me comporter. Dans la musique, une des grandes décisions que j’ai prise c’est de ne travailler qu’avec des producteurs. Mais pas un producteur dans le sens commun employé dans le Hip Hop. Dans le Hip Hop un producteur est la personne qui fait le beat. Je n’ai jamais travaillé de cette manière. J’ai toujours travaillé avec des producteurs de rock, quelqu’un là pour te donner des conseils. J’ai pris cela du théâtre et je l’ai appliqué à ma musique. Avoir un regard extérieur ne peut que me permettre de montrer le meilleur de moi-même. Le théâtre m’a appris à jouer. La première fois que j’ai approché la poésie je l’ai fait de la même manière que les arts du spectacle. Je mémorisais le poème comme un texte de théâtre. Je n’avais pas besoin du microphone car je savais projeter ma voix comme au théâtre. Ensuite on m’a demandé d’enregistrer un album. Si tu écoutes mon premier album et  le compares avec dernier, la différence principale est que sur le premier  je crie les chansons de la même manière que je l’aurais fait si je jouais une pièce de théâtre parce qu’ à l’époque je n’avais pas compris la différence entre jouer et enregistrer.

Aujourd’hui te sens-tu plus acteur, poète ou musicien?

Je me considère juste artiste. Toutes ces facettes font parties de moi.

Mais pourtant tu investis plus de temps dans la musique que dans le cinéma?

C’est vrai, mais ce n’est pas vraiment une question de choix. Si l’on parle de ça, on doit parler du manque de diversité à Hollywood. Prenons James Franco qui écrit et joue. Quand j’ai eu fini de tourner dans « Slam », j’avais un master en théâtre, je venais d’écrire et tourner un film qui a gagné un prix au festival Sundance. Lorsque je suis arrivé à Hollywood, ils ne savaient pas quoi faire de moi. Je voulais  jouer, j’aurais aimé avoir joué dans des millions de films à l’heure qu’il est. On ne m’a rien offert. Des mecs comme James Franco ne doivent même plus passer de casting. J’avais gagné plein de prix, j’étais jeune, motivé mais la seule chose pour laquelle on était prêt à me faire passer des castings c’était pour des rôles de dealers ou alors pour jouer le gentil noir drôle qui est derrière le blanc qui se tape les meufs. J’ai été meurtri et choqué. Tu sais, la raison pour laquelle je sors des albums concepts comme « MartyrLoserKing » dans lesquels je développe un personnage c’est parce que toute ma carrière j’ai ressenti un manque en tant qu’acteur. J’ai toujours voulu jouer plus.

Penses-tu que ce serait plus facile en France?

Non, pas du tout. En France il y a Omar Sy mais, tu donnes ta chance à un mec à la fois et la personne qui l’obtient doit faire le mec sympa, marrant. Il n’y a rien de différent. J’ai beaucoup d’amis comédiens ici, noirs et arabes, parfois c’est même pire. Essaie d’être un acteur arabe ici et voit combien de fois on te demande d’incarner un terroriste. Le plus drôle c’est que j’ai vu tellement de blockbusters américains qui sont des flops et je me suis dit  que s’ils avaient été plus créatifs avec leur casting, plus de personnes se  seraient intéressés au film. On m’a aussi dit  » Si tu te plains, pourquoi n’écris tu pas ton propre film? « . J’écris un film maintenant pour « MartyrLoserKing » mais je trouve cela tellement injuste car personne ne dira à James Franco ou Marlon Brando  » Si tu veux un rôle intéressant, écris-le ».

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Peux-tu revenir sur le projet multimédia derrière « MartyrLoserKing » ?

C’est l’histoire d’un hacker, il est comme un Banksy virtuel, qui vit dans un village fictif au Burundi. Ce village se trouve à cote d’une sorte de décharge où vont tous nos vieux ordinateurs car bien sûr nous n’achetons pas de nouveaux ordinateurs lorsqu’ ils sont en fin de vie mais juste lorsqu’un plus récent vient de sortir. Donc tous ces objets vont dans des endroits où se trouvent ce qu’on appelle des pilleurs de poubelles. Parfois ces endroits font la même taille que des villes mais ce sont juste des piles de matériel informatique. J’ai alors commencé à imaginer cela en saison des pluies et alors quelqu’un arrive là et se dit qu’il a besoin d’un endroit où dormir. Il construit alors une maison à partir des pièces informatiques. J’ai ensuite imaginé un village fait de toutes ces vieilles pièce informatiques. Donc « MartyrLoserKing » est quelqu’un qui vit dans ce village, c’est son nom d’écran. Il rencontre une fille d’Ouganda dont le nom est Neptune Frost qui est un modem et lorsqu’elle arrive tout le village se met en marche et ils sont alors connectés. Ce que j’ai alors commencé à imaginer n’a rien à voir avec la pauvreté mais au contraire a à voir avec une société des plus avancées vivant dans un endroit que tu n’aurais jamais imaginé.  MartyrLoserKing continue à hacker, il apparait sur tous les écrans de téléphone au même moment aux Etats-Unis. Tout le monde se demande qui c’est et au début c’est cool car tu n’as pas que des hackers qui révèlent des choses comme Edward Snowden, tu as aussi des hackers qui font des choses rigolotes. Il fait tout cela depuis le royaume de « MartyrLoserKing » et  ce qu’il y a de plus rigolo c’est que pendant plusieurs années ils ne le trouvent pas à cause de l’arrogance européenne. Ils voient bien les signaux venir du Burundi mais ils se disent que cela ne peut pas venir de là, que ce doit être quelqu’un qui se trouve à Paris, Berlin, Seattle ou New York.  A cause de leur arrogance ils ne le trouvent pas et ensuite à cause de se propre arrogance il va trop loin. Il hacke jusque dans la NASA car il est intéressé par la planète Sirius. Il commence à jouer avec les satellites qui sont connectés au système de défense. Il est alors catalogué comme menace pour la sécurité nationale et passe de quelqu’un que tout le monde connait et aime mais n’a jamais rencontré à quelqu’un considéré comme un terroriste. Finalement on le tue.

C’est la fin ?

Non, car il y a un survivant. C’est Neptune Frost qui devient le « MartyrLoserKing ». Ça c’est une bande dessinée qui sortira l’année prochaine. L’album « MartyrLoserking » est la première partie de l’album. « MartyrLoserKing » n’est pas vraiment le personnage principal de l’histoire, mais Neptune Frost, c’est elle, le modem qui a les supers pouvoirs. Un peu comme dans Star Wars (Rires). J’essaie de trouver un millionnaire qui me donnera de l’argent pour tourner le film. Si je ne trouve personne je ferai une campagne KickStarter. J’ai besoin d’obtenir 5 millions de dollars pour tourner. La bande-dessinée s’appellera « MartyLorserKing ».Le film et le prochain album s’appelleront « Neptune Frost ».

By Hélène