Entrevue avec Tim Keen de Ought : aujourd’hui Montréal, demain la Terre

Publié le 22 avril 2016 par Feuavolonte @Feuavolonte

Entretien intime avec Tim Keen de Ought, un musicien à la conquête du monde un coup de cymbale à la fois.

Photo: Facebook

L’histoire de la formation post-punk/indie-rock Ought débute entre les murs de l’Université McGill où les membres Tim, Matt, Ben et (l’autre) Tim font connaissance en tant qu’étudiants étrangers. Les trois premiers proviennent de diverses régions des États-Unis et Tim Keen est Australien. Malgré des backgrounds divergents, c’est Montréal qui aura été le théâtre de leur union fondée sur un amour inconditionnel pour la musique marginale et underground. La métropole québécoise peut donc s’approprier Ought comme étant un phénomène local! D’autant plus que c’est dans la foulée des évènements revendicateurs et chaotiques du printemps érable en 2012 que le groupe s’est développé et qu’il a puisé son inspiration pour un grand nombre de pièces du premier album More Than Any Other Day, paru en 2014. Montréal inspire, que voulez-vous!

Leur son post-punk urgent et introspectif s’est notamment attiré la sympathie de nombreux blogues musicaux à l’échelle internationale. Le premier album s’est même retrouvé dans la section très prisée Best New Music du prestigieux Pitchfork. Du jour au lendemain, Ought était encensé et en demande aux quatre coins de la planète. La sortie tant attendue de leur deuxième album ne se sera pas fait attendre très longtemps, puisque l’année suivante parait Sun Coming Down, également bien reçu par les adeptes du groupe. Pas le temps de niaiser!

On a réussi à se tailler une place dans l’horaire chargé de Tim Keen, drummer et violoniste de Ought, pendant qu’il plaçait ses t-shirts et sa brosse à dents dans sa valise pour partir pour une longue série de shows en Europe, puis aux États-Unis et au Canada. Un retour sur la vie après le succès, les racines, le futur, les expérimentations. Toute la patente!

Vous venez de lancer une tournée dont la première date était sold-out à la Sala Rossa. C’était comment de performer à Montréal après tout le succès international qu’a connu Ought? 

On était ici depuis environ 4 mois, on était en break. On n’avait pas vraiment joué par contre, donc c’était plutôt excitant de s’y remettre. Les choses étaient étonnamment similaires à nos derniers shows. C’était bien de replonger dans ce groove.

Vous avez fait de la tournée autour du globe depuis votre premier album. Est-ce que cette expérience a changé la dynamique dans le groupe ou votre manière de faire de la musique?

La dynamique dans le groupe a changé dans le sens que les relations entre nous évoluent. C’est ce qui arrive lorsqu’on passe de longues périodes de temps avec certaines personnes. Nos liens se renforcent. Aussi, dans la dernière année, j’ai écouté plus de musique que dans n’importe quelle autre partie de ma vie. Nos goûts ont tous changé un peu.

Quand tu dis que t’as jamais écouté autant de musique, c’est parce que tu vois des groupes pendant les tournées ou t’as pris du temps pour relaxer et découvrir de nouveaux trucs?

Un peu des deux. Je pense qu’en tant que professionnel, c’est important d’être activement à l’affût de ce qui se passe dans le monde de la musique. J’ai définitivement ressenti cette responsabilité dans les dernières années. J’essaie d’élargir la quantité de trucs que j’écoute. J’ai appris à découvrir la musique électronique minimaliste. J’ai aussi découvert le small-scale hardcore et le métal. Je m’intéresse aux trucs de toutes les communautés, que ce soit de Montréal ou d’ailleurs. Je crois que cette approche a encore mieux développé mon approche DIY.

Les manifestations étudiantes au Québec en 2012 étaient la trame de fond de Ought pour composer la majorité du premier album. Est-ce que vous surveillez toujours ce qui se passe ici lorsque vous partez en tournée? 

J’essaie toujours de me tenir au courant de ce qui se passe ici. C’est parfois compliqué. Le monde rapetisse lorsqu’on part en tournée. On n’est pas nécessairement aussi à jour qu’on aimerait l’être. J’aime effectivement penser qu’on pourrait encore être inspirés par des évènements qui se passent ici. Qui sait?

Vous avez signé avec Constellation en 2014, aux côtés de groupes comme Black Emperor et Tindersticks. Est-ce que de rencontrer et d’échanger avec des artistes établis a changé votre manière de faire de la musique ou vous avez toujours fait à votre manière?

Je pense que notre façon de composer a été formée par les forces et les limites du band. Tout le monde a une manière différente de penser la musique. Nos manières de composer ont évolué et se sont rencontrées dans une zone commune. En termes de processus de composition, je ne pense pas que ça a vraiment changé, mais en termes d’aesthetic, c’est certain que ça a changé. J’ai personnellement beaucoup appris des bands qu’on a côtoyés.

Vous tentez de vous perfectionner en tant que musiciens pour pouvoir pousser plus loin les explorations musicales de Ought?

Ça oui. C’est important pour moi. Je viens d’un background de classique, c’est donc profondément ancré en moi. Il y a vraiment de la valeur dans le fait de savoir bien jouer son instrument.

T’es particulièrement inspiré par certains artistes?

Tony Conrad est décédé tout récemment. Je réécoute sa musique et ça vient vraiment me chercher. Il a été violoniste dans Velvet Underground et il a eu une carrière solo influente. Il a emmené le krautrock dans l’Occident, en quelque sorte. Je n’avais pas réalisé à quel point sa musique me touchait.

Le deuxième album Sun Coming Down est sorti rapidement après le premier. Êtes-vous très créatifs ou vous travaillez fort à sortir de la musique pour implanter à long terme le nom Ought dans les oreilles des mélomanes?

La tournée ne m’inspire pas vraiment. J’adore en faire, mais je ne me sens pas très créatif à ce moment-là. Il y avait des limites de temps pour faire le deuxième album, mais aussi puisqu’on avait passé tellement de temps sur la route, on avait un paquet de trucs à dire, j’imagine. On voulait présenter nos nouvelles idées. En même temps, le deuxième album est relativement similaire au premier. Ils sont vraiment dans la même veine. Il n’y a pas eu de grande révélation entre les deux albums, mais il y a tout de même une petite évolution. Le deuxième est plus près de mes intérêts et de mes façons de faire.

Sur Beautiful Blue Sky, vous brossez un portrait de la vie de tous les jours. Sentez-vous qu’on vit dans un monde plutôt superficiel? Qu’on n’est pas honnêtes entre nous?

Tim [Darcy, chanteur] écrit les paroles seul. On ne participe pas au processus. Je pense cependant que tout le monde se cache derrière un masque. Ce n’est pas spécifiquement lié à notre génération.

Vous dites être conscients que la musique populaire est présente depuis longtemps, et donc, qu’il est presque impossible pour un groupe de présenter un son complètement nouveau. Pensez-vous que Ought pourrait éventuellement trouver sa propre sonorité ou vous allez toujours refléter vos influences?

Je l’espère vraiment. Je ne sais pas trop quelle valeur ça a de ne pas au moins tenter de se diriger vers quelque chose de neuf. Les gens font peut-être le lien entre ce qui sonne pareil et ce qui influence un groupe. Ce sont deux notions différentes.

Les gens et les médias ont qualifié la musique de Ought de toutes sortes de façons (indie-rock, post-punk, noise-rock). Êtes-vous d’accord avec ces étiquettes? Comment décririez-vous le son de Ought?

Je sais pas trop. Je pense qu’objectivement, on touche à l’indie rock. Qui est un genre et un terme que je n’aime pas nécessairement. Ça me dérange un peu que les gens décident ce qu’est notre musique avant même de l’avoir écoutée.

Certains disent que Pitchfork a lancé votre carrière en vous mettant dans la Best New Music en 2014. Sentez-vous vraiment que les blogues musicaux sont en partie derrière votre succès?

Tout à fait! Y a pas de doute là-dessus. Leur hype machine joue un rôle important dans le fait qu’un band puisse vivre de ce qu’il fait. Avant tout ça, on ne pouvait pas faire grand-chose, et puis soudainement, on pouvait. On peut maintenant tout faire à plus grande échelle.

Êtes-vous en mode écriture ces temps-ci? Vous planifiez déjà le troisième album?

On recommencera à écrire quelque part cet été. On va être moins pressés, on va prendre plus de temps pour jouer et découvrir vers quelles avenues musicales on se dirige. On a fait deux albums plutôt rapidement, donc il y aura nécessairement une maturation qui va se passer d’ici le prochain.

Tim Darcy (chanteur et guitariste) a parti un side-project expérimental avec AJ Cornell. Comment ce projet s’est-il mis sur pieds? Sentez-vous que vous avez des idées que vous ne pouvez exprimer dans Ought?

Oui c’est sûr. Tim et AJ jouent ensemble depuis environ 3 ans. Chacun des membres a des side-projects d’expérimentations. On sort tous nos propres trucs. On est assez productifs. Je joue du drum dans un band hardcore, dans le groupe Silk Statue, je sors des trucs expérimentaux semi-acoustiques. Je joue un paquet de trucs. Tout est sur le bandcamp de notre label indépendant Misery Loves Co.

Vous venez de repartir en tournée pour les deux prochains mois. C’est comment de repartir sur la route après votre break?

Ce sera cool. J’aime faire la tournée. C’est une façon pratique d’organiser ma vie. Je me lève tôt le matin, je mange mieux. Ce sera plaisant. On ne peut pas vraiment explorer, mais ce n’est pas grave. J’aime travailler fort et livrer la marchandise. J’aime la vie de musicien professionnel.

Ought sera donc en tournée en Europe et en Amérique du Nord jusqu’à la fin mai.

Pour ceux qui se sont fait refuser l’entrée à la Sala Rossa (sold-out oblige!), vous pouvez toujours vous prendre un billet Via Rail ou faire une ride de char jusqu’au Horseshoe Tavern de Toronto, où ils seront en spectacle le 27 mai.

En attendant la possible maturation musicale qui se développera sur la prochaine galette, vous pouvez vous procurer le plus récent album Sun Coming Down en magasins et en ligne.