Jonathan Painchaud, l’amant des lettres

Jonathan Painchaud

La Tête Haute

L-Abe

Print

«Aujourd’hui, je suis certain d’écrire aussi bien que Dylan». C’est avec cette déclaration qui peut sembler pompeuse que débute La Tête Haute, le plus récent album du Madelinot chéri des Québécois, Jonathan Painchaud. Il parle de l’effet que ça lui fait d’embrasser la plus belle fille de Montréal, mais, en extrapolant, on peut y voir aussi un avant-goût de ce que propose l’album.

Disons-nous les vraies choses, un instant: qu’on l’aime ou non, notre Jo Painchaud national, c’est quelqu’un qui travaille fort. Pas juste en poussant de la fonte, mais également – et surtout – sur ses textes. Ses sujets peuvent paraître insipides pour certains, mais force est d’admettre qu’une chanson comme Toujours rebelle, qui parle d’envoyer promener ses voisins et d’écouter du Bérurier Noir dans le tapis en lavant son auto, pourrait faire rougir de honte Corneille (le dramaturge, pas le Forever Gentleman). Il manie la guitare et la voix, certes, mais son véritable art, c’est celui du champ lexical.

C’est une présomption très forte de dire que l’on peut écrire aussi bien que Dylan. Nous allons donc vérifier ce qu’il en est en ressortant les phrases les plus fortes de son album. Peut-il se dépasser depuis son célèbre «Malgré mes apparences/De stoïque bellâtre/Je suis aussi fragile/Qu’une statue de plâtre» de Pousse, Pousse ?

1 La tête haute

Mentionnée plus haut, cette chanson parle de l’ivresse du premier baiser. Il en profite en se comparant aux grands, tellement son buzz est fort. En faisant cet exercice, Painchaud propose des formulations qui ressemblent à des flips que des rappeurs pourraient faire dans un battle.

«J’ai bégayé en angoissant comme un jeune homme/Woody Allen».

Juste citer un nom, comme ça, en fin de phrase. Ne serait-ce pas une forme de «drop de knowl»? Ce n’est pas nécessairement niché, mais il y a probablement de quoi faire cogiter la clientèle de ses magasins de vapoteuses.

2 Belle infirmière

Son amoureuse est comme une infirmière qui panse ses plaies de cœur. On souligne le vocabulaire de cette rime: «Ton amour est ma vitamine/Ma gaze et ma morphine». Peu de gens se donnent la peine de parler de gazes dans leurs chansons.

3 Me laisser porter par les vents

«Et ces histoires anciennes que je remâche sans cesse/Étouffent les boutures et les fleurs de ces fragiles amours qui naissent». Idem ici, les boutures et les fleurs ont de quoi séduire les amants de botanique.

4 C’était tout juste l’automne

Rien à signaler vraiment. Une histoire d’amourette adolescente avec la grande sœur d’un ami, qui avait un «charme de collégienne». Une rencontre thématique entre Ma vie à l’heure des Respectables et Pleine de tendresse de Claude Dubois.

5 Rat race

Rien à voir avec le film de 2001. Quoi que…
Toujours est-il qu’on parle de course, mais les métaphores de hockey sont très fortes. Un champ lexical bien étoffé ici: «Et si tu choisis d’en découdre/Que tu te bas pour garder ta place/T’es pas tout seul à jouer du coude/Tout le monde a besoin de temps de glace».

6 C’est pas tous les jours dimanches

7 La reine de ma maison

Deux occurrences où l’auteur-compositeur-interprète se garde des forces. Il y a du costaud qui arrive.

8 Plus que la vie elle-même

On devine que c’est un titre adressé à son enfant (réel ce coup-ci, contrairement au titre À l’enfant que j’aurai d’Okoumé). Le premier couplet montre une forte assonance du phonème «père». «Que ton PÈRE ne soit pas comme les autres PÈRES/Qu’il soit un drôle de PÈREsonnage/Un p’tit peu à l’envers/Qui souvent se PÈRE dans le brouillard/Mais garde ses rePÈREs grâce à ton phare.»

Le choix des verbes est très fort aussi. Dans le deuxième couplet: «Quand vient le temps de parler/toujours il s’évertue/à te rappeler de questionner/les idées préconçues. Chérir et cultiver précieusement ta différence.»

9 Le quadrupède pétomane

La pièce de résistance de l’album. En 2 minutes 30, Painchaud réussit à nous faire passer son texte au sujet de son chien qui pète pour du Proust. Chaque mot est réfléchi pour donner une consistance au texte. On souligne: «J’invite le canidé à décamper du boudoir/Innocemment embaumé de son fétide brouillard». Cependant, le «Vésuve intérieur» du «cabot malapris» a tout pour montrer l’effort herculéen de Jo Painchaud.

10 Pour une journée au moins

C’est exténuant que de dépasser les limites de la langue. Painchaud a le droit à un peu de repos. Il chante ici le doux plaisir de rester collé au lit avec chérie. «Au diable que le matin vienne se pointer le museau/Aujourd’hui je ne fais rien que me coller contre ta peau» et «Briser ce moment parfait serait me faire violence/Comme le bruit d’une craie au tableau de l’indolence» arrivent ex aequo.

Donc, il faut lui donner ce qui lui revient. Musicalement, on a peut-être déjà entendu sa proposition folk-rock. Ses sujets peuvent être banals. Comme moi, vous pouvez ne pas être rejoints par sa plume, mais tabarouette, il faut lui donner qu’il travaille. À lui de dire, dans sa chanson sur son chien puant: «J’devrais me retenir un peu d’écrire ces balivernes et prendre mon travail au sérieux». Peut-être, à ce moment, qu’on aurait un poète éternel. Mais en attendant, si le public préfère entendre parler de vesses canines…