C’est dans le cadre des FrancoFolies que Pierre Lapointe célébrait samedi les 10 ans de l’album responsable de sa consécration: La forêt des mal-aimés, paru le 21 mars 2006. Dans une forêt dense, entre autres peuplée de matantes qui avait ben aimé Pierre à La Voix, Feu à volonté a fait son possible pour avoir accès à une place de choix devant la scène Bell.
Pierre Lapointe/Photo: Élise Jetté
C’est durant la deuxième chanson, Debout sur ma tête, que je réussis à prendre place sur un bout de trottoir surélevé qui me permet d’ajouter trois pouces à mes 5 pieds 4: vue acceptable pour voir Pierre dans son beau suit.
«C’est donc ben bizarre ce qu’il a fait avec son veston», s’exprime la dame à ma gauche avec un rictus de dégoût, incapable d’apprécier le travail de design de Walter Van Beirendonck:
Pierre Lapointe/Photo: Instagram de Pierre Lapointe
Comme je suis installée près du trottoir, je constate rapidement que l’endroit où j’ai établi domicile pour le temps du spectacle, est également une place de choix pour pousser tout le monde afin d’accéder à la station de métro. La promiscuité entre les convives de Pierre donne lieu à une série d’actes passifs agressifs de la part desdites convives. C’est ainsi que, tout au long du texte, vous pourrez comprendre le titre de cet article: on apprend à vivre avec les autres.
Une pluie de regards réprobateurs déferle sur une gang de filles vêtues de fleurs et de feuillages, participant à un enterrement de vie de jeune fille ou ayant pris trop au sérieux le thème de la forêt… difficile à dire.
La mélodique Étoile étiolée débute quand un homme dans la cinquantaine braque ses épaules et tente d’avoir l’air de quelqu’un qui fréquente le gym. «Je sais pas où tu veux aller, mais ça passe pas», dit-il, incrédule, à un jeune père de famille qui tente de quitter les festivités avec une poussette remplie d’un enfant.
«Il y a 15 ans, j’écrivais déjà des chansons tristes», nous rappelle Pierre Lapointe avant d’entamer Plaisirs dénudés.
C’est quand le chanteur enchaîne avec Reine Émilie que la goutte d’eau déborde du vase de la dame devant moi, effleurée depuis plusieurs minutes par une nombreuse délégation française qui tente de se frayer un chemin pour aller établir un eye contact avec l’ami Pierre. «Les ostis de touristes! Lâchez-moi caliss», dit-elle, visiblement incommodée par le tourisme.
Les sonorités particulières de fond de forêt de la pièce Au pays des fleurs de la transe se font entendre quand un homme d’une grande sagesse – visiblement traîné de force au show de Pierre par sa conjointe – décide d’intervenir, ne pouvant pas supporter Pierre Lapointe ET des commentaires xénophobes en même temps: «Madame, gardez votre mauvaise humeur pour quand vous serez chez vous avec vos animaux de compagnie», dit-il d’un air découragé.
Pierre Lapointe enchaîne Vous et Tel un seul homme en précisant qu’il «n’a pas le droit de faire des tounes écrites après 2007». «C’est l’fun comme concept han?», s’enquiert-il, peu convaincu du génie dudit concept.
Pierre Lapointe présente l’équipe scénique officielle du concert. De la team d’origine de l’enregistrement de La forêt des mal-aimés, presque tout le monde est présent sur scène: Josianne Hébert, Philippe B, Philippe Brault et Guido del Fabbro sont là, mais aussi, Tony Albino à la batterie.
Pendant que j’essaye d’entendre avec exactitude la présentation de Pierre, une sympathique fan, placée à l’orée de mon tympan gauche, dicte à son conjoint au téléphone les achats alimentaires à faire à l’épicerie. C’est ainsi que j’apprends qu’il «n’a pas acheté le bon fromage la dernière fois.»
Pierre Lapointe commence Au nom des cieux galvanisés et s’arrête abruptement au premier couplet. «Vous ne réagissez pas assez fort», dit-il avant d’expliquer que «un chanteur déçu, ça s’en va écouter des films, tranquille chez lui». Ce commentaire de Pierre ne fait pas broncher la faiseuse de listes d’épicerie qui essaye maintenant avidement de faire fonctionner la lampe de poche de son téléphone intelligent. «Cherchez-vous quelque chose par terre?», lui dis-je. «Non, je m’amuse avec mon téléphone», rétorque-t-elle. Ha.
Après Hyacinthe la jolie, Pierre Lapointe décide, de son propre aveu, de «casser l’ambiance en faisant des chansons tristes». Il se fait néanmoins rassurant: «On peut faire des belles choses avec la tristesse. En nous concentrant assez fort, on pourra peut-être patcher les trous dans les rues de Montréal et éviter de créer des bouchons de circulation aussi». On aurait dû y penser avant!
On patche donc les trous avec mes morceaux favoris du répertoire ancien de Lapointe: Au 27-100 rue des Partances, De glace et Le lion imberbe.
Tous les visages, Nous n’irons pas et le Colombarium retentissent pendant que cette conversation amère ne finit plus de finir derrière moi:
– C’est tellement décevant, le spectacle est gâché par les cons qui passent devant nous.
– As-tu payé pour voir ce show?
– Non, c’est payé avec MES taxes!
– T’as rien payé, ça peut pas être parfait.
– Je l’aime, moi, Pierre Lapointe!
– Ben ferme ta gueule et écoute-le, calvaire.
L’endomètre rebelle et Deux par deux rassemblés jouent pendant que la dame de la liste d’épicerie (oui, encore elle) regarde des vidéos d’animaux (avec le son) sur son téléphone. Après les chats, ce sont des vidéos de poissons, puis des vidéos de plages aux vagues bruyantes et finalement des vidéos de sauts en parachute où l’on entend les parachutistes crier de joie dans le ciel. Beau timing.
Dans un petit discours de fin de show, Pierre Lapointe rappelle l’importance de faire vivre la culture. «Ça fait vivre toute une famille qui fabrique l’histoire de demain. Ça pollue pas. Faites juste penser à l’argent que vous mettez pour manger de la marde chez Tim Hortons et McDo.» Convaincant.
Pierre Lapointe s’exécute pour une reprise qu’il faisait régulièrement autour de 2006 (parce qu’on respecte les consignes!): Au suivant, de Brel.
Le rappel électrisant qui débute avec la chanson-titre de l’album permet à tous les badauds de quitter les lieux pour arrêter d’avoir à vivre avec la présence des autres. Pour eux, il était temps que ça finisse. Moi, j’ai beaucoup apprécié le retour dans le temps.