Moi, là, le Rockfest. C’est pas que j’en ai contre l’événement en particulier, mais il me semble qu’on en fait un cas. J’y suis allé en 2013, j’ai eu beaucoup de plaisir et j’ai vu des bons spectacles, mais pour le reste, ça implique pour moi de manquer une fin de semaine de travail pour me tenir avec des gens qui font de la grosse dope en écoutant ironiquement des icônes du rock populaire entre 1995 et 2006. Je peux remplir ce manque en moi en allant à Woodstock en Beauce, aux Tam-tams du Mont-Royal ou en allant voir Les Respectables quelque part cet été. Ces options sont sans doute moins coûteuses.
Leftover Crack/Photo: Etienne Galarneau
Toujours est-il que si cette année, tout le monde semblait énervé par la venue de Blink 182, Sum 41 et Yelo Molo 78, seuls deux noms me motivaient particulièrement sur l’édition 2016 du festival: la formation post-hardcore californienne At the Drive In qui renaît de ses cendres pour une tournée mondiale et les crust punk de New York de Leftover Crack, de retour après quelques années d’absence sur les planches. L’annulation des dates nord-américaines de la première formation annoncée le 18 juin dernier a atténué le regret de ne pas aller à Montebello; je ne manquerai qu’un seul band intéressant. Ah oui, et peut-être l’hommage à GG Allin, mais juste pour voir si le chanteur allait vraiment se mettre tout nu et chier sur la scène comme le vrai (*SPOILER ALERT* Il l’aurait fait).
Dimanche 26 juin, le Pouzza Fest annonce un spectacle secret-pas-secret de Leftover Crack aux Katacombes pour une modique somme de 5 $ ou une canne de nourriture pour l’organisme Dans La Rue. On espère secrètement que ce soit une initiative commune avec le Rockfest, car cet apport en nourriture est absolument nécessaire pour les gens dans le besoin, comme les groupes locaux que le festival ne voulait pas payer en 2013. Une canne de thon à 2 piasse au dépanneur plus tard, je suis dans la file pour assister à ce spectacle.
Tout un droit de passage, quand même
La première partie de ce spectacle tout en crust est assurée par la formation québécoise Blame The Name qui, dans ses interventions comme dans ses textes, alterne entre français et anglais à la va-comme-je-te-pousse.
Blame The Name/Photo: Etienne Galarneau
Le tempo dans le tapis, la formation propose des pièces agressives, mais dansantes, un peu ska, un peu croches, mais absolument charmantes et efficaces pour animer la foule. Le guitariste JF nous lance une sagesse urbaine en mentionnant son grand plaisir de faire partie de la programmation d’une telle soirée :
«On était censés jouer avec eux à Sherbrooke pour la première date de leur dernière tournée, y’a huit ans, mais ils n’ont pas passé les douanes. Si j’ai appris quelque chose de cette expérience-là, c’est que si tu dis que tu joues avec Leftover Crack, il y a crissement du monde qui va se pointer».
Des paroles pour charmer les gens dans le mosh pit, tels que le baraqué avec une veste arborant des messages haineux envers les hipsters et celui qui porte un masque de Deadpool. Peut-être un ami proche du gars qui s’était mis une fausse moustache pour aller dans le pit du spectacle de Dropkick Murphy’s au Métropolis en 2009? Je m’égare.
Un beau pit, quand même/Photo: Etienne Galarneau
La première partie finie, je descends vers les toilettes sous la playlist adéquate du DJ, constituée de Radio Radio et Lisa Leblanc (il s’empressera rapidement de faire jouer au complet l’album …And Out Come The Wolves de Rancid). Deux constats me frappent: d’abord, les Katacombes chargées à bloc par un 31 degrés à l’extérieur, ça réchauffe très rapidement. Ensuite, à me voir juger les gens qui ont du plaisir dans le pit, je me demande si l’adolescent que j’étais qui écoutait Leftover Crack au secondaire aimerait ce que je suis devenu. Est-ce que les spectacles de punk sont toujours peuplés de gens qui se déguisent pour danser ou c’est un cas spécial? Il faut dire que le punk que je vois, maintenant, c’est en festival ou au Ritz PDB et au Turbo Haüs; parfois à l’Esco. Le Mile-Ex, St-Henri, le Plateau. Allô l’embourgeoisement de mes goûts!
Mes angoisses reliées au calcul de mes points punks s’arrêtent quand Leftover Crack arrive sur scène. Tous les musiciens, sauf le chanteur Stza, sont présents et entament les premières notes du classique Nazi White Trash. Le leader du groupe commence à chanter alors qu’il est encore en arrière-scène et arrive de manière abrupte après quelques secondes.
La performance est rodée, énergique et le groupe est particulièrement généreux pour sa première présence à Montréal depuis, à notre connaissance, un passage à L’X en 2006. Cependant, cette générosité joue un peu sur la limite de l’adorable et du gênant. À plusieurs reprises, Stza décide de suivre les demandes du public, ce qui mène à de longues pauses où il enseigne à ses musiciens comment jouer certains titres. C’est punk, c’est beau, mais il fait trop chaud en ce jour précis pour avoir envie d’attendre deux minutes que son groupe sache comment jouer certaines choses. C’est apprécié lorsque Stza leur montre In Hell de Choking Victim, son ancienne formation, surtout quand il avance que cette chanson a été écrite en 1994 alors qu’il était musicien de rue à l’angle Saint-Laurent/Sainte-Catherine, mais moins lorsque c’est pour nous interpréter Summer of 69 de Bryan Adams.
Leftover Crack/Photo: Etienne Galarneau
Les titres sont joués avec aplomb, puis, Stza demande un deux minutes de pause pour retourner en coulisse. On ne spéculera pas pour trouver la nature de l’activité, mais on sait que l’un des guitaristes traverse la foule pour demander où sont les toilettes. La foule, peu habituée aux entractes dans le punk et à la chaleur ambiante, commence à quitter tranquillement. De l’arrière-scène, le chanteur nous annonce que la formation revient bien vite et nous jure qu’il ne nous parle pas en direct d’un bol de toilette (encore une fois, un shout-out bien spécial au gars qui a fait l’hommage à GG Allin qui *SPOILER ALERT* l’aurait fait). C’est devant une salle à moitié pleine que le groupe reprend ce qu’il dit être que «deux ou trois chansons». Nous sommes partis après deux de ces titres, donc nous ne pouvons affirmer si cette annonce était réelle. Il faut dire que la volonté du groupe de jouer Danger Zone de Kenny Loggins après avoir demandé à la foule si elle préférait du Choking Victim ou du Leftover Crack m’a laissé un peu sur ma faim.
J’adore la générosité et le côté impromptu du spectacle. Stza Crack se présente comme un band leader de qualité, qui peut improviser un spectacle de A à Z, à la manière des Prince et des James Brown de ce monde, mais en mode crust punk. Cette ambiance aurait été préférable si la météo avait été de notre côté, à moins d’être un-e chanceux-se collé-e sur le système d’air conditionné des Katacombes. On demeure absolument heureux que le groupe ait pu passer les douanes cette fois et leur souhaitons un prompt retour au Canada. Après tout, si les spectacles sont toujours aussi imprévisibles, on en a assurément pour notre argent: une canne de thon à 2 $ offerte aux démunis.