Joni Void
Selfless
Constellation Records
*** 1/2
Selfless, le nouvel album du producteur échantilloniste Jean Cousin en est un bien convaincant, même si quelques petits flous au niveau narratif viennent ponctuer l’opus. Un travail complexe, mais fort intéressant.
Certains auront découvert Joni Void dans les dernières années via son Soundcloud qu’il utilisait jusqu’à tout récemment sous l’alias Johnny Ripper. Son vrai nom: Jean Cousin. Le Français d’origine s’est fait connaître par son talent assez génial pour manipuler les samples, au point où il n’utilise aujourd’hui aucun matériel original dans son processus de composition. 100 % de sa musique est écrite à partir d’éléments enregistrés à l’avance, mais retravaillés d’une main de maître par le Montréalais d’adoption. Le constat de départ est assez convaincant et encourageant, surtout si l’on considère que le gars est vraiment versatile au point de vue du stylistique. Mais il finit peut-être par l’être un peu trop…
Selfless est le premier album signé sous étiquette de Cousin. Un beau début, considérant qu’il a réussi à se tailler une place dans la famille Constellation Records. Son premier single, Disassociation (Kyla’s Song), avait déjà réussi à attirer mon attention dans les dernières semaines et j’avais donc bien hâte de voir la galette complète, mais je dois dire que mes premières écoutes me laissent un peu mitigé. Si le génie de Cousin n’est aucunement à remettre en question, c’est plutôt son album très varié et en deux temps qui semble poser problème.
Les pièces, prises individuellement, sont toutes incroyables. De la mystérieuse et introductive Song Sienne à la conclusive Deaf (No More Songs), on passera réellement par toutes les émotions imaginables. Pensez à des inclusions chill (Empathy), concrète (Doppler), hip-hop (Yung Werther (Ogun’s Song)) ou encore industrielle (Abjection): Selfless va dans tous les sens. Prenons par exemple le point culminant de l’oeuvre, Cinema Without People, en retrait quelques instants. La pièce tend vers la techno et l’industriel, mais laisse en place des échantillons de pellicule cinématographique qui finiront éventuellement par s’arrêter sur quelques secondes de silence.
Les forces narrative et évocatrice sont à leur comble, mais on comprend mal la juxtaposition avec Yung Werther qui vient juste après. Côté inspirations, on côtoie autant les pionniers comme Pierre Schaeffer dans l’essence bruitiste que Yann Tiersen pour le côté parfois pianistique et très cinématographique de la musique. Et ajoutons finalement à cela la présence de plusieurs invités qui viendront chanter, ou du moins être samplés à de nombreuses reprises tout au long du disque. C’est à force de tirer dans tous les sens que Cousin finit quelque peu par manquer la cible. Un fil conducteur plus évident aurait peut-être aidé à mieux accompagner la complexité inhérente des compositions qui nous sont présentées.
Cela dit, l’erreur est contrebalancée par le talent certain et la qualité des pièces qui composent l’album. Selfless se présente comme une œuvre complexe qui peut s’écouter dans plusieurs états. L’amateur de musique électronique sans trop d’intérêt face aux musiques expérimentales saura y trouver son plaisir autant que l’amateur invétéré de musique post-moderne. Jean Cousin, qui a déjà œuvré dans le milieu du cinéma, réussit dès la naissance de son projet Joni Void à nous livrer une trame sonore imagée de grande qualité.