– Qu’est-ce que tu vas venir faire comme performance, mardi, Etienne?
– Pour être bien honnête, je vais probablement juste rester en bobettes chez nous.
– Tu pourrais faire ça, justement. À un moment donné, on mettrait une toune et on dirait «Pour sa performance, Etienne Galarneau reste chez lui en bobettes.» Ça serait vraiment pertinent. Tu pourrais littéralement faire ça.
Guillaume Mansour, incertain
C’est ce mardi 16 mai que se déroule à L’espace des Mêmes une soirée unique en son genre organisée par le musicien polycéphale Guillaume Mansour (La Guillaumansour Experience, Perdrix, plus si affinités) et intitulée Mon instrument: le tourne-disque. Avant l’arrivée à notre point de rendez-vous, je vois un graffiti sur un poteau électrique où il est écrit en grandes lettres rouges: «Art». Finalement, ça m’aura donné un signe avant-coureur de la nature de la conversation à suivre.
Mansour nous reçoit, thé en main et préparant des grilled cheese, pour discuter d’une performance unique en son genre. «Ce que je vais faire, c’est, tranquillement pas vite, commencer à mettre des pièces de différents genres musicaux sur vinyles: des chansons, des trucs instrumentaux, du connu, de l’obscur. Puis, je vais commencer à faire des affaires qui sont, la plupart du temps, hyper basic. Je vais sûrement mettre les gens un peu en contexte au début parce que ça peut être vraiment intimidant.»
Mise en contexte qui peut s’avérer nécessaire, puisque la soirée relève à la fois de la communauté, de l’entertainment et de l’art conceptuel. «Ce qui fait que c’est pertinent, selon moi, ou que c’est intéressant, c’est que je veux questionner la notion de talent et d’absence de talent, le réinterpréter, faire en sorte que finalement ce que tu pensais qui n’était rien est une chose pour laquelle tu as énormément de talent, explique l’organisateur de la soirée. C’est juste quelque chose qui n’est pas reconnu ou considéré comme une forme d’art.»
Dans l’esprit, rien n’est tabou et tous peuvent s’essayer avec leur pièce de choix. Mansour nous évoque, entre autres, la possibilité de parler d’une chanson qu’on fait semblant de connaître comme performance éligible. «Ce genre d’action qui peut sembler banale, parce qu’on la fait constamment… Si on mélange ça à l’adage qui dit qu’on devient expert de quelque chose en le pratiquant pendant 10 000 heures, on peut dire qu’on est experts en «faire semblant de connaître une toune», parce qu’on est constamment entourés de musique et qu’on entend des tounes pour la première, deuxième, troisième fois sans être sûrs de les connaître.» L’objectif final demeure de créer un climat de confiance, où chaque participant pourra y aller de son élan artistique. «Tu pourras faire un peu n’importe quoi sur n’importe quelle toune», ajoute-t-il.
Magnifier le quotidien
Mais dans cette optique, comment définit-on l’art? Comment définit-on la valeur performancielle de nos actes? «La valeur performancielle, je crois que c’est une complicité, défend Mansour. Les gens doivent savoir que tu es en performance, parce que si personne n’est au courant, l’effet escompté n’arrive pas. Si tu dis aux gens «Ceci est une performance, vous êtes des spectateurs et on est en train de faire une œuvre», tu es en train de la créer.»
Lorsqu’on lui demande si la vie urbaine, la vie en société, n’est pas elle-même performance puisque l’on est toujours dans le regard de son concitoyen, il amène une certaine nuance. «Si t’étais pas en train de m’enregistrer pour l’entrevue, peut-être que ça ne le serait pas, mais dans ta transcription, il y a une chance que tu décrives ce que je suis en train de faire, pis si tu retranscris ce que je suis en train de faire, c’est déjà plus une forme d’art.» Pour l’anecdote, le grilled cheese cheddar-kichi qu’il était en train de faire avait non seulement une valeur d’art de performance, mais d’art gustatif incomparable.
«Si tu restes chez vous en bobettes, il n’y a personne pour te voir. Mais si à un moment donné, je dis «J’ai demandé à Etienne Galarneau ce qu’il veut faire comme performance et il m’a dit qu’il allait rester chez eux en bobettes» et que je mets une toune en disant «Voilà, c’était son œuvre», soudainement, on est dans la performance», ajoute-t-il à titre d’exemple de mise en art du quotidien.
De fait, cette réflexion sur la mise en art du quotidien vient, chez Mansour, d’une réflexion sur les soirées d’humour et la Karaoké Mixtape de Navet Confit «Naïvement, il a ouvert la porte sans le vouloir, parce qu’il s’est mis à faire un mixtape, tweeker la musique et chanter par-dessus, ce qui a un côté nostalgique et qui vient avec un discours sur l’appropriation de l’œuvre, de renchérir l’organisateur de Mon instrument: le tourne-disque. Mais en voyant ça, j’ai réalisé qu’il amenait le plus possible l’œuvre à un degré zéro de ce qui en fait de l’art. Il a appris les chansons et chantait sur la note, mais je me suis dit que tu n’es pas obligé de connaître la toune, dans le fond.» Pour le côté humour, il y a cette idée que le créateur a peu de matériel à amener et que la formule est diamétralement opposée à ce qu’on voit dans le milieu des musiques émergentes, ce qui le pousse à réfléchir le décorum et le modèle d’affaire du spectacle musical. «Il n’y a pas de côté «art d’initié», en humour, qu’on peut retrouver en musique», conclut-il.
Avec une heure de contenu plus ou moins préparé, le musicien attend les visiteurs à L’espace des Mêmes dès 19h. Et si l’idée vous prend de rester chez vous, n’oubliez pas que si personne ne le sait, ça ne peut pas faire partie de la performance.