Contrôle de Lary Kidd : se noyer dans une piscine de Robitussin

Publié le 06 juin 2017 par Feuavolonte @Feuavolonte

Lary Kidd

Contrôle

Coyote Records

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Il n’aura fallu que quelques mois et des poussières après l’annonce de la pause d’une durée indéterminée de LLA pour que Lary Kidd, membre fondateur émérite de la formation, dépose un projet solo sur les tablettes. S’éloignant de la vibe BoomDesjardins-esque de L’éloge de l’ignorance, celui-ci s’est retrouvé en position de préciser et mieux définir qui il est en tant qu’artiste solo. Le temps de chroniquer quelques excès de fin de soirée, le emcee s’est mis à mettre sur pied une œuvre assez focus (probablement grâce au Adderall).

Sur Contrôle, Lary Kidd plonge tête première dans un délire trap arrogant et torturé qui baigne dans le lean. Dès la première pièce (Anorexie), les lourdes basses et l’atmosphère obscure annoncent une déroutante perte de contrôle qui agit à titre de ligne directrice tissant tous les morceaux de l’album. Les bouteilles de sirop pour la toux se décapsulent. On y explore le conflit intérieur, le matérialisme, la glorification personnelle, la dépression et le désir d’engourdir ses douleurs (généralement par le biais d’un judicieux cocktail pharmaceutique).

Le tout est présenté dans un package très dense aux prédominantes influences américaines auxquelles on prend bien soin d’ajouter des propos dissonants qui égratignent le «politiquement correct» au passage (hoes et retards inclus à l’intérieur). De par ses thèmes, son ton et sa facture sonore homogène, Contrôle glisse occasionnellement dans la redondance, mais tire cependant son épingle du jeu par la cohérence globale des morceaux. On pousse, mais on pousse égal.

Côté performance, il est clair que le rappeur d’Ahuntsic se complaît parfaitement dans sa trame narrative glauque aux sonorités d’Atlanta. Son aisance est palpable et celle-ci rehausse l’expérience. Le principal intéressé se permet même quelques savantes variations dans la livraison des pièces, mélangeant l’efficacité sur beat de Travis Scott (FTSL), le flow agressif de Freddie Gibbs (Contrôle) et l’occasionnelle impertinence de Future (Les palmiers brûlent dans la nuit). C’est d’ailleurs dans ce cocktail musical de l’Oncle Sam que se perd éventuellement Lary Kidd. Dieu merci, on peut notamment compter de ponctuels clins d’œil à Kc Lmnop et à Yvon Krevé sur la pièce-titre pour se rappeler qu’on se trouve sur la planète RAPQUEB (et ainsi esquiver le 4×4 sur la lune du même coup.)

Côté tissu sonore, le rappeur codéiné mise fort sur d’ingénieuses productions, gracieuseté de joueurs étoiles du beatmaking québécois incluant Toastdawg, VNCE CARTER (Dead Obies), Kable Beatz et Ruffsound. Ensemble, ils peignent la trame musicale méticuleusement obscure et glauque qui porte l’album. On y retrouve un brillant amalgame de trap (aux diverses saveurs, allant de la grosse production baller sur La brise à celle plus langoureuse pour les lovebirds sur La grande beauté) auquel on ajoute une touche originale de horrorcore qui met bien en valeur le flow, la voix et les idées de Lary. Cet élément constitue une des forces principales du projet.

Au final, Contrôle s’avère un exercice de style et un exutoire artistique comportant ses moments de gloire, tout en se perdant un peu dans le courant actuel saturé (et ô combien sirupeux) du trap. Tandis que la trame narrative finement définie permet le déploiement de pièces variées, le rappeur se concentre (efficacement, quand même) sur un genre très uniforme. Sur ce projet, Lary Kidd penche davantage vers la signature américaine d’Atlanta, diluant légèrement sa propre originalité au détour. La perte de contrôle aura tout de même valu le coup (ne serait-ce que pour les bars à la sauce aux prunes).