Il y a quelques semaines, GrimSkunk faisait un retour bruyant avec un nouvel album, Unreason In the Age of Darkness. Le groupe a profité du moment pour dire «hey, mais là, saviez-vous aussi que ça fait 30 ans qu’on existe?» Quel ne fut pas mon étonnement de constater que j’allais célébrer mes 30 ans la même année que la légende du punk québécois. Entrevue 1988-2018… parce que 30 ans, c’est pas rien!
GrimSkunk/Photo: Carl Thériault
C’est par cette conversation avec Franz Schuller que commence l’entrevue:
« – Ben voyons! 30 ans en même temps que nous autres! Mais là, c’est quand ta fête?
– En décembre.
– Notre premier jam était en novembre! T’étais presque née! GrimSkunk a vraiment exactement le même âge que toi!
– YES! »
Comme j’étais plus intéressée par la purée de carottes que par le punk, en 1988, j’ai eu envie de savoir comment évoluait la scène musicale en 1988. On a comparé les univers, Franz et moi et, oui, 1988 et 2018, ça n’a rien à voir!
Si tu compares le punk de 1988 à celui de 2018, qu’est-ce qui a changé?
Je dirais qu’il n’a pas changé tant que ça. Par contre, quand on a commencé, le punk était un état d’esprit très marginalisé. Environ 8-10 ans après, t’as eu Nirvana, Rage Against The Machine, System of a Down. Le rock engagé, alternatif, métal a émergé. Ils sont devenus des espèces d’ovnis immenses sortis de nowhere. Le punk comme style de musique a évolué au-delà de son cadre, de ses valeurs, de son esprit, sa mentalité. Quand tu regardes la deuxième vague avec Pennywise et NOFX, entre autres, la table était déjà mise. Les kids des années 90 écoutaient beaucoup de ça.
Si tu regardes la scène musicale montréalaise d’aujourd’hui, par rapport à celle de 1988?
Ça s’est beaucoup diversifié, amplifié. À l’époque où on a commencé le groupe, la seule musique Québ qui était accessible était celle qui était mainstream, les chansonniers québécois francophones. À part quelques exemples marginaux comme Black Voivod, c’était ça. Tout ce qui était en anglais se passait dans l’extrêmement underground et si tu voulais les entendre, fallait que tu ailles dans des shows. Aujourd’hui, t’as comme 20 scènes musicales différentes… hip-hop, indie rock, incluant toujours du métal et du punk. Un autre gros changement, c’est que nous, on a créé un label indépendant en 1997. On s’est basé sur un modèle qu’on voyait ailleurs, un modèle super DIY, de faire tout tout toi-même. Les choses se sont créées autour de ça. Il y a aussi la reconnaissance à l’étranger. Montréal est devenu, à cette époque-là, un point musical sur la map. Il y a des groupes montréalais qui ont eu un impact mondial sur la musique. Je parle pas de Céline Dion. Arcade Fire est le plus gros exemple. Même s’ils étaient signés ailleurs, ils ont fait tout tout tout de leur premier album à Montréal. Il y a eu le avant et le après Arcade Fire et les Grimes, Half Moon Run et compagnie ont bénéficié de cette crédibilité après.
Votre groupe de 1988 à 2018?
Pas grand-chose de différent, honnêtement. On est moins jeunes (rires). On fait des albums plus lentement, on fait moins de shows dans une année, on a des jobs, des enfants. On n’a pas 100% de notre temps à donner à la musique. Quand on était tout le monde ensemble dans un appartement – pour vrai, on vivait tous ensemble – à l’époque, on avait rien que ça à faire. L’esprit même du groupe n’a pas changé du tout. Le plaisir qu’on a à faire des spectacles, à vibrer avec le public , ça n’a pas changé de 1%. On est chanceux d’avoir une connexion artistique deep dans le band, une amitié super profonde.
Les chansons qui revendiquent sont-elles les mêmes qu’en 1988?
Je veux pas généraliser parce qu’il y a encore des chansons qui disent des choses, mais c’est un peu la catastrophe. À peu près 98 % de ce qu’on entend a un message autre (que revendicateur) ou inexistant. C’est pas grave, là. T’es pas obligé de chanter par rapport aux thèmes sociaux. Mais, je trouve ça dommage parce que ça a toujours été un véhicule pour faire valoir, exprimer, tester, pousser la limite du socialement acceptable. Bob Dylan est devenu la voix d’une génération, U2, au début, c’était un groupe hyper engagé, mais on dirait qu’arrivé aux années 2000, tout le monde s’est dit «bah le monde est rendu ben trop fucké, on va juste arrêter d’en parler.» La montée de la droite, Trump, Poutine… Y’a des osti de malades partout dans le monde et personne semble penser que c’est une responsabilité des artistes de prendre le flambeau et d’utiliser la plateforme pour lancer le débat. C’est pauvre.
Faire de la musique indépendante de 1988 à aujourd’hui?
Le jour et la nuit. Ça n’a rien à voir avec quand nous, on a commencé ados. Napster, Internet… Quand on a commencé à faire de la musique, L’INTERNET EXISTAIT PAS! Toutes l’industrie a changé. Le gros côté bénéfique, c’est l’accessibilité de la musique. Quand on a commencé, si tu réussissais à faire un enregistrement pis encore mieux, à l’endisquer, t’étais déjà hot. Aujourd’hui, n’importe qui s’enregistre dans son cell pis met ça en ligne. La compétition est donc aujourd’hui complètement débile mentale. Ça fait quatre ans que tu travailles, que tu enregistres avec quelqu’un de talent, des bons musiciens pis toute et quelqu’un d’autre fait n’importe quoi avec son ordinateur et tout est mis sur le même pied d’égalité. Réussir à avoir de l’attention dans le bordel qu’est Internet, c’est aussi une autre game. Je pense qu’il y a une chose qui change jamais: la crème se rend toujours au top, mais ça peut prendre ben du temps, passer à travers le chaos incessant de l’industrie. Avant, pour avoir un certain statut, ça te prenait un vrai enregistrement, de l’argent, une cassette. On est tellement plus dépendant de la réaction des gens.
Le public a-t-il changé?
Sont moins jeunes (rires)! Les jeunes sont dans un trip électro et hip-hop, mais il faut savoir que les styles de musique, ça passe en cycles. Par contre, j’ai jamais vu le rock aussi peu présent. Pas un peu moins, mais presque rayé de la carte. Mais il faut apprivoiser les changements. Y’a 30 ans, tu m’aurais dit que le plus gros band pop, ça allait être un groupe qui joue du banjo, pis je t’aurais ri dans face, mais Mumford and Sons a joué à la radio 40 fois par jour pendant un bon boutte. Ça serait l’fun que le public s’attache davantage à l’essence musicale. La seule chose que je déplore, en tant que fan, c’est le fait qu’il y a plusieurs artistes qui pèsent sur leurs boutons d’ordinateurs, mais qui ne pourraient pas jouer d’un instrument. T’es créatif, mais si l’électricité lâche, vas-tu pouvoir me faire un show?
GrimSkunk est en spectacle ce soir dans le cadre de Pouzza FEST au Jardin des bières, sur le parterre du Quartier des Spectacles (coin Clark et Maisonneuve), à 20h.
L’album Unreason In the Age of Darkness est disponible ici.