La chanson commence par trois lignes : "Avec ma gueule de métèque. De juif errant. De pâtre grec" - qui donnent immédiatement le passeport du personnage. "Ma gueule de métèque" renvoie à l'histoire d'un mot devenu injure. Dans la Grèce antique, "métèque" désigne un état civil. Le métèque, c'est l'étranger qui bouge, qui change de maison, qui s'installe dans la cité sans avoir les droits des citoyens qui y sont nés. Dans la langue française, le mot "métèque" devient une insulte à partir du XIXe siècle sous l'influence des courants d'extrême droite qui l'utilisent pour désigner l'étranger dans une acceptation très péjorative, à savoir : l'ennemi de la nation. Au XXe siècle, "métèque" s'affine dans son abjection et définit les immigrés venus de la Méditerranée et des pays de l'Afrique du Nord.
"Juif errant" fait référence au personnage condamné à vivre et à errer éternellement pour avoir, selon la légende, refusé au Christ un moment de répit durant son calvaire. C'est un archétype qui s'inscrit dans l'histoire de l'antisémitisme et qui incarne l'homme venu d'ailleurs dont il faut se méfier. Et puis "pâtre grec" , c'est celui qui fait paître le troupeau, qui va, qui vient, à l'extérieur.
En trois lignes donc, Georges Moustaki livre son autobiographie en miniature puisqu'il est né Giuseppe Mustacchi à Alexandrie, de parents juifs grecs immigrés en Egypte. Le métèque, c'est donc lui, mais par extension c'est cet étranger qui fait peur et réveille les fantasmes les plus irrationnels. Dans la chanson, Moustaki fait une chose très intéressante au niveau de la sémantique : il agit sur le vocabulaire, il opère à un renversement de sens. Il s'approprie l'insulte "métèque", il la prend à son compte tout en la vidant de sa substance négative. Et il va construire toute la chanson en se désignant grâce à des termes utilisés par les xénophobes pour désigner les étrangers : vagabond, rôdeur, maraudeur, voleur. Un homme qui est capable de blesser (avec ma bouche qui a mordu) . Un homme à la peau sombre et tannée - une peau dont il dit qu'elle s'est frottée à tous les soleils .
Voilà donc comment on fait un succès populaire en dénaturant les insultes dont on affuble les immigrés, les exilés, les déracinés. Le Métèque de Moustaki est toujours d'actualité. La preuve cette version urbaine de Pat Kalla.