«J’ai toujours aimé la rentrée et le renouveau», dit Salomé Leclerc. «Un nouveau cahier pour écrire de nouvelles choses», dis-je. «Exactement.» Mille ouvrages mon cœur sortait la semaine dernière, enraciné dans l’automne tel Les choses extérieures, paru il y a plus ou moins précisément trois ans. Sur son quatrième album, l’autrice-compositrice-interprète apprivoise encore les solitudes, celles auxquelles on s’adresse, celles qui nous parlent, qu’on l’ait planifié ou non.
Salomé Leclerc/Photo: Élise JettéDans son studio qui baigne dans une lumière matinale d’automne, Salomé me reçoit pour une jasette et m’offre un jus de poires. «Je trouvais ça agréable d’offrir quelque chose d’un peu exotique. J’ai rempli le petit frigo.» Même si je décline le breuvage, l’idée de ce doux nectar de saison est néanmoins savoureuse. Salomé sait recevoir.
Oui, on se reçoit de manière spéciale, ces jours-ci, alors qu’on essuie encore les traumas laissés par une absence de rencontres qui teinte forcément les créations artistiques qui en découlent. Si le troisième album de Salomé Leclerc en était un de solitude calculée, le quatrième est arrivé avec une solitude forcée par le contexte.
«La différence entre ces deux solitudes, c’est le temps, lance Salomé. J’étais moins précipitée. Pas d’échéance en avant. Pas d’attentes. Je commençais à ouvrir plus les yeux. J’étais connectée avec ce qui arrivait autour. Mon écriture de pandémie était un processus de solitude, mais pas de manière profonde, pas dans l’acharnement. Les choses extérieures, c’était un bouleversement intérieur. Depuis, il y a eu des réponses et un cheminement. Cette fois, c’est une bulle, oui, mais elle n’est pas hermétique.»
Écrites au printemps 2020, les chansons du nouvel album se sont reposées tout l’été qui a suivi. «À l’automne, j’étais prête à enregistrer, mais je n’avais que des versions guitare-voix. J’ai pensé à faire le disque que je veux faire depuis toujours: guitare-voix et un peu de cordes.» Finalement, elle a croisé Louis-Jean Cormier dans le corridor entre son studio et le sien et elle a eu envie de lui demander son point de vue. «Ça ressemble à ce qui s’est passé avec Antoine Corriveau pour Les choses extérieures: après qu’il m’ait fait part de ses idées, je lui ai dit que ce n’était pas fini, cette collaboration-là.» C’est là qu’ils ont ouvert chaque maquette et choisi les arrangements, une technique nouvelle pour Salomé qui a l’habitude d’arranger les chansons au fur et à mesure qu’elles sont prêtes.
Le paradoxe du souvenir
Au cœur d’une saison sans déplacement à l’étranger, les souvenirs de voyages se déclinent pourtant sur Tes yeux à Barcelone. «Oui, moi aussi, je m’ennuyais de voyager, répond Salomé. Mais c’était surtout une chanson sur le souvenir, ce qu’il nous reste d’un évènement vécu, mais avec plusieurs avis. On peut vivre quelque chose de fort avec quelqu’un à nos côtés et après coup, on réalise que ce qu’il nous en reste est complètement différent.»
En 2020, la tournée des Choses extérieures a été coupée en deux à cause de la pandémie. «C’est ce temps suspendu qui m’a permis d’écrire et c’est pour ça que j’ai un album», explique Salomé. Elle ferme ses chapitres un à un, n’écrit pas en tournée et choisit ses contextes qui doivent être les bons. «Il faut que je puisse me détacher des chansons de l’album précédent pour me plonger dans quelque chose de nouveau. La pandémie avait quelque chose d’excitant parce que je n’avais pas le sentiment de manquer quelque chose en m’arrêtant pour écrire. Je pouvais prendre tout le temps que je voulais.» Et c’est ainsi que, contrairement aux travailleurs de bureaux qui auraient sans doute choisi une avenue plus exceptionnelle, elle a décidé de faire son quatrième album sur un horaire de 8 à 5. «Je rentrais au studio le matin et je revenais avant le couvre-feu. J’ai écrit tout le printemps, dans un renouveau qui n’est pas celui de l’automne, mais qui porte ses propres changements.»
Dans un contexte renouvelé de pression absente et de totale liberté, Mille ouvrages mon cœur a pris forme, laissant certaines pièces à l’état pur et poussant plus loin les idées pour d’autres. «Avant les éclats est devenue ma chanson grunge de l’album, dit Salomé en riant. Une guitare tunée droite aurait enlevé l’aspect intéressant vu que le drum était joué un peu croche. On a refait quelques chansons à partir de zéro, mais en se fiant aux maquettes.»
Chaque printemps et 12 heures plus tard, se présentent à l’état brut. «Pour Chaque printemps, je ne me suis pas posé la question. Je l’ai écrite à la mémoire de mon grand-père et je ne voulais ajouter aucune couche qui aurait pu masquer le fond».
12 heures plus tard raconte quant à elle l’histoire d’une tante de Salomé qui visitait sa belle-mère durant les derniers mois de sa vie. «Pendant huit mois, avant de mourir, elle inversait le jour et la nuit et elle ne comprenait pas qu’on la visite la nuit. Celle-là aussi, je voulais la garder simple. Je me rappelle avoir vu le train arrivé [par la fenêtre du studio]. J’ai dû enlever le son du train dans l’une des tracs, mais c’est pas mal tel quel sinon.»
Le mystère de l’omnichord
«Je vais te le sortir», me dit Salomé quand je lui avoue ma fascination pour l’instrument qui ressemble le plus à un jouet. «Il pourrait être écrit Fisher Price dessus et personne ne serait étonné», rigole Salomé. C’est lui qu’on entend au début de La vie parfois ou dans Mon cœur à l’endroit. «Je sais pas vraiment jouer de ça. C’est plus un instrument qui me fait tomber sur des affaires intéressantes que je décide de garder.»
Salomé Leclerc et l’omnichord/Photo: Élise JettéMille ouvrages mon cœur renferme les histoires que Salomé Leclerc voulait raconter, des moments exprimés avec de plus en plus de vérité, au fil des années. «Avant une chanson était un mood qui avait duré six mois. Là, je pourrais écrire au sujet de la bouteille d’eau à côté de toi, dit Salomé. Ton équilibre a été le déclencheur de cette envie de dire les choses telles qu’elles sont. J’ai décidé d’écrire comme si je parlais à quelqu’un devant moi. Ça fait que je chante des choses qui me touchent plus.»
Un Club Soda qui n’a même pas «besoin d’être plein», un Théâtre du Patriote, chaleureux. Le Petit Champlain à Québec, le Théâtre du Marais… Toutes les scènes qui accueillent dans la bienveillance manquent à Salomé. Et les mille ouvrages de son cœur s’y déploieront sous peu. La solitude finira par finir.
«Quelque chose de bien vivant, quelque chose du recommencement», chante Salomé sur Mon cœur à l’endroit. On pourra l’écouter pour accompagner tout ce qui recommence.