C’était la rentrée montréalaise d’Antoine Corriveau, hier soir, une bonne occasion de renouer avec la Sala Rosa qu’on n’avait pas encore vue cette année.
Avant même de prendre la route vers la rue Saint-Laurent, on prend le temps de réaliser qu’Antoine deale avec un grave problème de scalpers anglophones. C’est ça qui arrive quand tu deviens trop connu.
Sans même avoir planifié l’affaire, je me stationne derrière sa Corolla, vedette du nouvel album, et je me dis qu’il n’y a pas de meilleure façon de commencer ma soirée.
À l’entrée, je constate que personne va s’asseoir sans être conformément guidé.e, principalement parce que le concept de numéros de sièges ressemble à mon pire cauchemar: un jeu d’évasion.
Renouer avec la Sala Rosa, c’est aussi renouer avec une salle où quand tu vas pisser (à côté de la scène, comme si tu t’en allais backstage), tu fais partie du show, et ça, ça fait du bien.
Le show commence avec Quelqu’un et Antoine se trompe de paroles dans la deuxième phrase, ce qui le rend très humain dès le départ. Déjà, on sent qu’il veut faire en sorte que les gens qui vont pisser et les gens sur scène sont tous à égalité. C’est un gars de même, Antoine.
Antoine Corriveau/Photo: Élise JettéIl enchaîne avec La ville d’où on vient, issue du passé, mais liée à la chanson précédente par le mot «quelqu’un»: «Parce qu’il n’y a pas de souvenirs reliés à quelqu’un, qu’il n’y a pas de sourires, qu’il n’y a pas de parfums». C’est la même version punk de la toune sur laquelle on avait trippé au début de l’été au Festival en chanson à Petite-Vallée.
«Êtes-vous contents d’être là?», demande le chanteur à la foule qui répond en chœur. «On est contents nous aussi. Toi, tu as l’air plus contente que les autres, c’est quoi ton nom?» «Jade», répond une fille au premier rang. «On est contents que tu sois là, Jade», dit-il, juste pour elle.
Pendant tout le spectacle, il a très chaud, mais on ne peut pas affirmer qu’il s’est donné une chance avec sa tenue.
Antoine Corriveau/Photo: Élise JettéCheapcheapcheap et Maison après maison suivent. Sheenah Ko s’empare du piano qui se trouve juste devant Jade au plancher.
Les spectacles de Corriveau ne seront plus jamais les mêmes, j’ai l’impression. Si normalement on se laissait porter dans quelque chose de posé et introspectif, l’auteur-compositeur-interprète exprime dorénavant une grande pulsion punk-rock qui lui va bien. Tellement qu’à plusieurs reprises durant le show, on a l’impression que la seule chose qui retient Antoine Corriveau de faire la split comme Luc Senay est son skinny jeans.
Côté jardin, une femme tente à plusieurs reprises de partir une lignée de gens qui tapent des mains sur le beat de la toune à l’unisson, mais ça ne fonctionne pas. On n’est juste pas dans ce genre de spectacle là. Même si l’instrument n’est guère présent sur scène, mon voisin de droite, lui, joue du air violoncelle sur la chanson Albany.
Antoine descend à son tour sur le plancher des vaches et c’est là qu’on entend une intro de piano et de distorsion avant 1982 tirée du EP Feu de forêt (2018).
Seul au piano, il poursuit avec la mélancolique Peut-être. Puis il s’adresse à nouveau à Jade: «Tes parents ont-ils envisagé un autre nom que Jade?» «Emy-Jade», répond-elle. Puis Antoine nous confie le prénom reluqué par sa mère avant d’opter pour Antoine: Luc. «Je me demande souvent si je serais ici en m’étant appelé Luc Corriveau. Et je me dis “what would Luc do?” Je me questionne sur les épisodes de ma vie qui appartiennent à Luc. Luc a travaillé aux Pages Jaunes quand il est arrivé à Montréal. Il y a des moments de ma vie que je me dis “ça, c’est plus Luc”. C’est un tripeux de char, Luc. Il fait des accidents et il gère ça tu seul…»
Toute cette introduction sur la vie de Luc lui permet de nous jouer une chanson moins longue que son histoire: Kenny U-Paul.
Antoine Corriveau/Photo: Élise JettéMa chanson favorite de l’album poursuit le set: Le bruit des os. Le rythme de basse et de drum est prenant, surtout en personne, et la mélodie de guitare est difficile à oublier.
Je sors dehors suit en version longue avec un jam imposant au centre et une douceur rock comme cerise sur le gâteau à la fin. Erika Angell monte sur scène pour Les sangs mélangés et nous fige avec sa voix d’ange dès le départ. Il se pourrait fort bien que son chant ait été une incantation.
Ensuite, à la fin de Croix blanche, un décompte lumineux apparaît au fond de la scène et Antoine et Simon descendent pour «envahir» le public tel des zombies musiciens et ça se termine par un terrifiant face à face. On va savoir d’où viennent nos mauvais rêves.
Simon Angell et Antoine Corriveau/Photo: Élise JettéMaladresses et Ils parlent suivent la nuit des morts-vivants et Gabriel, le frère d’Antoine, une version de lui-même avec d’autres cheveux, le rejoint à la guitare.
En guise de rappel, Sheenah Ko nous hypnotise à son tour, chantant de profil dans le noir pendant qu’Antoine, au piano, livre Disparition.
Sheenah Ko et Antoine Corriveau/Photo: Élise JettéSheenah demande la permission pour prendre en charge le piano et c’est Feu de forêt qu’on entend avant la toute dernière toune.
«Fais Imagine», crie quelqu’un dans la salle. Au drum, Stéphane Bergeron demain à Jade un chiffre entre 20 et 32. Elle dit 26 et il cogne ses baguettes 26 fois avant, non pas Imagine, mais En Corolla au Canada, chanson qui n’est pas sans rappeler le stationnement en parallèle parfait effectué une heure 40 plus tôt derrière ledit véhicule.
Si jamais vous avez envie de voir de vos yeux la presque-split d’Antoine Corriveau, il y a une supplémentaire du show à la même place, le 10 décembre.