Il n'y a rien comme un dimanche de novembre pour nous rappeler qu'on a besoin de chaleur. S'il était facile, hier soir de choisir la chaleur du voyage final d'Occupation Double à Punta Cana, j'oserai prétendre m'être baigné l'âme dans quelque chose de plus chaud: les histoires de Sainte-Rose-du-Nord de Ken Villeneuve. Le conteur était de passage au Quai des Brumes le temps de poser un baume sur l'hiver qui commence avec ses amis de Bolduc tout croche.
Ken Villeneuve a commencé à parler dans son micro et la foule s'est tue. Aucune musique, au départ, seulement une histoire de vent glacial, puis, finalement, une chanson qui évoque la même idée de face givrée par l'hiver.
"Salut les urbains", lance Ken pour intéresser les Montréalais devant lui. L'habitant de Sainte-Rose-du-Nord, une municipalité de paroisse faisant partie de la municipalité régionale de comté du Fjord-du-Saguenay (oui, je suis allée sur Wikipédia pour ça), nous raconte comment six générations de Villeneuve ont fait partie des bâtisseurs de ce coin de pays.
La façon de faire de Ken Villeneuve me rappelle des choses que j'ai vues dans le passé de manière impromptue sans pouvoir les revoir: une chanson dans le métro en voyage, une conversation de bar en région avec quelqu'un qui ne s'est jamais nommé, un spectacle de village où je ne suis jamais retournée. Pendant qu'il raconte, je pense souvent aussi au (feu) spectacle Les contes urbains qui était joué à La Licorne avant les Fêtes durant de nombreuses années. Autant j'ai envie d'entendre à nouveau les chansons et les histoires de Ken, autant je place, pour le moment, sa performance dans un lieu éphémère. Son œuvre est un moment.
"Je vais vous présenter le légendaire groupe Bolduc tout croche qui m'accompagne ce soir", lance Ken, admiratif devant les trois musiciens Simon Bolduc, Andrea Mercier et Marc-Antoine Sévégny. Le trio, qu'on avait pu voir avec leur quatrième musicien David Marchand en version numérique il y a un peu moins d'un an, exécute également quelques pièces de son répertoire. On entend entre autres Grand travailleur tirée de l'album Grande santé, mais aussi de nouvelles pièces dont on avait également eu un avant-goût l'an dernier. La chanson D'où ce que je viens parle de Victoriaville et fait échos à tous les propos sur les origines soulevés durant la soirée. Le groupe interprète aussi Sainte-Rose, une chanson qui rend hommage au lieu de toutes les histoires de Ken.
Ce que Ken raconte s'érige habilement sur la ligne entre le vrai et le faux: juste assez tangible pour qu'on s'y accroche, mais avec un soupçon de magie qui alimente le sentiment chaleureux d'avoir assisté à quelque chose d'unique. Il nous raconte autant comment un groupe de femmes des Premières nations victimes de violence conjugale auraient trouvé refuge à Sainte-Rose avant la fondation du village, que la quête de son grand-père pour identifier un monstre marin dans le village voisin de Saint-Fulgence. Il nous raconte son histoire d'amour très contemporaine avec une adepte du "zéro déchet" et les défis que ça implique, puis il évoque la notion de "strict minimum" dans le travail d'un pompier volontaire: ça se pourrait que ça brûle quand même. L'idée d'acheter une maison dans son coin de pays nous traverse l'esprit à plusieurs reprises, notamment pendant qu'il parle des bas prix (probablement pré-crise-du-logement) de l'immobilier en région.
Et les chansons, entre les histoires, emballent le propos, le magnifient et émeuvent simplement. "Dans mon village il se passe pas grand-chose tout le monde est sur le chômage", "quand j'ai trop bu, je trouve que le monde est plate" et "qu'est-ce que tu fais en fin de semaine, j'suis cassé j'ai pas une cenne, mais j'aimerais ça que tu viennes me voir", nous chante-t-il entre autres avec un talent qui repose sur la vérité; autant celle du texte que celle du ton.
À la fin, Ken nous dit que "c'est vraiment difficile" d'être son band d'accompagnement, ce qui, évidemment, souligne le talent du trio à ses côtés. "Mon rêve c'est de faire un grand show avec un orchestre symphonique. J'ai dit ça à Marc-Antoine (à la batterie) pendant nos répétitions et il m'a dit que ça se peut que 50 musiciens ne soient pas tous capables de vouloir me suivre", raconte Ken en riant.
Je ne me rappelle pas de la fin exacte du show, mais j'ai noté une phrase dite par Ken un peu avant de quitter la scène: "Il va falloir rester dans nous autres mêmes pour tout l'hiver". Je pense que cette soirée au Quai était la meilleure façon de faire le plein de chaleur avant de "rester dans nous autres mêmes pour tout l'hiver."
Relisez notre retour sur le spectacle virtuel de Bolduc tout croche (en décembre dernier) où il était question du prochaine album